[su_pullquote align=”right”]Par Xavier Brusset[/su_pullquote]

La demande pour de nombreux produits varie directement ou indirectement avec les conditions climatiques. Ces dernières peuvent donc déboucher sur des stocks excessifs ou au contraire des pénuries et des ventes manquées. Bien que ce lien de cause à effet soit connu depuis longtemps, la façon de s’en servir et d’exploiter les aléas météorologiques échappe encore aux gestionnaires qui y sont confrontés.

En effet, même si on sait quelles ventes de tee-shirts et de bière se feront en été, il est plus difficile d’évaluer l’impact que peut avoir une journée grise ou fraiche sur les ventes de ces produits. En France, 80% des secteurs d’activité sont dits « météo-sensibles », c’est-à-dire affectés par les variations climatiques. A titre d’exemple, l’été 2010 a été catastrophique pour la récolte de blé en Russie, ce qui s’est traduit par des flambées des prix des céréales. Mais le risque météo ne se limite pas aux évènements violents. Exception faite des secteurs de l’énergie et de l’agriculture, les entreprises n’ont pas en général conscience de leur dépendance à la météo. De fait, en termes de gestion, les ventes sont sensibles aux écarts de la météo par rapport à sa moyenne.

L’intérêt autant scientifique que managérial est donc d’exploiter le lien entre des ventes et des écarts entre la météo normale et celle qui est effectivement constatée.  Il faut donc évaluer l’impact des anomalies climatiques sur les ventes. Comme le climat des régions tempérées du globe subit des variations de plus en plus grandes, les conséquences sur les ventes sont aussi de plus en plus fortes. En France, la moyenne des températures au printemps oscille entre 6 et 14°C. Selon une étude publiée dans l’European Journal of Operational Research en janvier 2015, lorsque le printemps est plus chaud d’un degré Celsius, les ventes des vêtements pour enfants augmentent de 3%, les ventes de vêtements des supermarchés de 2.5%. A l’automne, c’est l’inverse ; lorsque la température est plus élevée d’un degré Celsius, les ventes de vêtements pour enfant baissent de 3%, celles de vêtements en supermarché de 2%.

Toutefois, toutes les catégories de produits ne réagissent pas de la même façon à la météo et ne sont pas sensibles  aux mêmes variables météorologiques. Il ne suffit pas de lire un thermomètre pour évaluer le niveau des ventes ! D’autres facteurs entrent également en ligne de compte comme le nombre de jours fériés et les promotions. Ainsi, une étude  portant sur les ventes de crèmes solaires démontre l’existence d’un taux de corrélation de 83 % entre les ventes et le nombre de jours d’ensoleillement, mais ce taux progresse à 92 % lorsque l’on inclue les promotions et le nombre de jours fériés. Pour les ventes de certains éléments des moteurs diesel sensibles au froid, le nombre de jours au cours d’un mois pendant lesquels le thermomètre descend au-dessous d’un certain seuil est la variable explicative prépondérante. Enfin, il faut aussi prendre en compte les délais de réaction entre les ventes et les évènements climatiques.

Même si le lien entre variable météorologique et vente est établi, l’exploitation par le gestionnaire n’est pas simple à  mettre en œuvre. Dans la mesure où, encore aujourd’hui, les prévisions météorologiques utilisables par des entreprises ne sont fiables que sur un horizon de 10 jours, seuls certains secteurs économiques particuliers qui peuvent ajuster leurs conditions d’exploitation pendant ces dix jours sont en mesure d’exploiter pleinement cette relation. Pour tous les autres, d’autres techniques doivent être mises en œuvre.

Nous allons en présenter ici deux de façon succincte.

Dans la première, nous ne nous servons pas des données météorologiques pour faire de la prospective mais pour expliquer le passé. Les ventes passées, qui sont déjà dans la plupart des cas désaisonnalisées, peuvent aussi être corrigées de l’effet météorologique. L’intérêt est de pouvoir travailler sur des données reflétant strictement les conséquences d’activités humaines : le lancement de nouveaux produits, l’effet de campagnes marketing, l’influence d’un meilleur service après-vente, d’un changement de distributeur, etc. Les analystes financiers auraient une meilleure compréhension des communiqués des sociétés météo-sensibles si les données présentées étaient corrigées ou s’ils avaient les moyens de corriger lesdites statistiques eux-mêmes.

Dans la deuxième, la technique est la couverture contre le risque. Comme il existe des produits d’assurance qui permettent de se protéger contre des évènements rares mais catastrophiques, il existe aussi la possibilité de se protéger contre une mauvaise saison. Après avoir identifié la variable météorologique qui est la mieux corrélée aux ventes d’un produit ou service, il devient possible de créer un produit d’assurance adéquat. Dans les cas où la variable observée  a posteriori a atteint ou dépassé le seuil prédéterminé dans le contrat d’assurance, le paiement d’une indemnité proportionnelle au dépassement du seuil est déclenché. Prenons l’exemple d’une société qui fabrique des crèmes solaires. Une fois la saison terminée, si le nombre de jours d’ensoleillement est inférieur à un seuil minimal prévu au contrat (et que donc, a priori les ventes sont mauvaises), le paiement d’une indemnité proportionnelle au défaut de jours d’ensoleillement est déclenché. Cette indemnité doit couvrir le manque à gagner. Ce sera le cas si la corrélation est forte. L’effet de facteurs humains (comme les efforts de la concurrence ou le nombre de jours de congé) n’entre pas en ligne de compte. Dans le cas favorable de fort ensoleillement, le fabricant de crèmes n’en sera de sa poche que du montant de la prime d’assurance.

La météo n’est pas un risque nouveau pour l’activité humaine. Toutefois, la constitution de bases de données de séries historiques sur les variables météorologiques suffisamment longues et détaillées était un préalable indispensable à l’élaboration de produits que les assureurs pouvaient proposer aux entreprises. Au 19e siècle, ce n’est que quand des tables actuarielles[1] sur la durée de vie des populations a existé que les assurances vie ont pu être proposées. La concurrence exacerbée qui limite à l’extrême les marges bénéficiaires des entreprises rend nécessaire la prise en compte systématique du risque météo. Même si les outils financiers et managériaux existent, peu de directions générales ont à ce jour établi les procédures et les pratiques managériales adéquates. Au-delà de la prise de conscience et du diagnostic, la prise en compte du risque météo et de sa couverture nécessite de nouvelles pratiques managériales. Pour les pionnières, c’est déjà une réalité. Par exemple Bosch France n’hésite pas à proposer à ses distributeurs de les assurer contre le risque météo. Le fabricant propose des remises sur le total des commandes de bougies de pré-chauffage pour moteurs diesel si le froid n’a pas été suffisamment intense en hiver[2]. Ces remises sont effectuées sur les commandes du printemps en fonction des températures constatées l’hiver précédent. Bosch subventionne ainsi le stockage des distributeurs : le risque de rupture de stock en cas d’hiver rigoureux est réduit puisque les distributeurs auront accru leurs stocks. Les parts  de marché des distributeurs et de Bosch devraient s’accroître en conséquence, justement au cours des hivers rigoureux, lorsque les besoins sont les plus importants.

[1] Tables qui, pour chaque âge d’un client potentiel, donnent son espérance de vie restante.

[2] Les bougies de pré-chauffage des moteurs diesel ont tendance à cesser de fonctionner lorsqu’elles ont été exposées plusieurs jours à des froids intenses.

[su_note note_color=”#f8f8f8″]Par Xavier Brusset, issue de l’article J-L. Bertrand, X. Brusset, M. Fortin “Assessing and hedging the cost of unseasonal weather: the case of the apparel sector”, European Journal of Operational Research, vol. 244, n°1, pp261-276.[/su_note]