[su_pullquote align=”right”]Par Christina Theodoraki[/su_pullquote]
D’après l’article “A social capital approach to the development of sustainable entrepreneurial ecosystems: an explorative study” publié dans Small Business Economics, 51(1), 153-170.

La création des écosystèmes entrepreneuriaux durables est au cœur des préoccupations des politiques publiques. Ce type d’écosystème est composé d’acteurs interconnectés, au sein d’un territoire, engagés pour faciliter la création de nouvelles entreprises durables. Dans ce contexte, de nombreuses questions méritent d’être posées :  Est-il possible de reproduire le succès de la Silicon Valley ? Les gouvernements devraient-ils continuer à perfuser éternellement l’écosystème avec des dotations financières ou l’écosystème peut-il atteindre un seuil de maturité qui lui permettait de s’auto-financer pour évoluer ? Quel plan d’action doit-on mettre en place pour arriver à ce seuil de maturité ? La perspective du capital social est un cadre intégrateur intéressant qui mérite d’être analysé pour répondre à ces questions.

Le contexte et son évolution

L’évolution de l’environnement entrepreneurial renforce ces questionnements. La crise économique, la baisse des financements publics, l’augmentation du nombre d’acteurs qui gravitent autour de l’entrepreneur, la compétition entre acteurs publics, parapublics et privés, l’apparition des nouveaux entrants sont de facteurs nouveaux qui menacent la survie des acteurs existants et les obligent à revoir leur modèle économique ou encore leur contribution pour le bon fonctionnement de l’écosystème.

L’université fait partie des acteurs historiques et fondateurs des écosystèmes entrepreneuriaux. La contribution des universités à la durabilité de l’écosystème entrepreneurial est cruciale. Elle contribue à la création de connaissances qu’elle transfère aux étudiants afin de les préparer à intégrer l’écosystème entrepreneurial. En parallèle, la mise en place des incubateurs académiques favorise le transfert des technologies, leur commercialisation et la création de valeur via la création des spin-offs et des jeunes entreprises innovantes. Ces incubateurs sont des acteurs intermédiaires qui construisent le pont entre les entreprises accompagnées et leur environnement externe. Leur objectif est “to act as a neutral coordinator to promote the interests of academic entrepreneurs, remove barriers to their success, and connect them to entrepreneurship support mechanisms both inside and outside the university” (Hayter 2016, p. 651–652)

Or, même si le rôle et la contribution de certains acteurs dans l’écosystème parait évident, la recherche actuelle ne parvient pas à expliquer pourquoi certains écosystèmes sont plus « durables » que d’autres. La synthèse de travaux dans ce domaine distingue trois caractéristiques pour favoriser un écosystème durable : i) la considération des spécificités territoriales ; ii) l’effet d’une culture entrepreneuriale solidaire ; iii) l’interaction continue et interdépendance de ses composants. La perspective du capital social permet de représenter la configuration d’un écosystème entrepreneurial durable.

Le rôle crucial du capital social

Le capital social est composé d’éléments tangibles et intangibles regroupés en trois dimensions : structurelle, cognitive et relationnelle (cf. figure 1). La dimension structurelle décrit les propriétés de l’écosystème (le nombre de liens entre les membres, la configuration de ces liens et leur stabilité) ; la dimension cognitive désigne la culture partagée au sein de l’écosystème (langage et objectifs communs, récits partagés) ; la dimension relationnelle se réfère aux comportements des membres (les normes à respecter, les obligations, l’identification de chaque membre -qui fait quoi-, la confiance). Réunir ces dimensions favorise la configuration optimale de l’écosystème et contribue à sa durabilité.

Nous pouvons donc supposer que si nous avons consacré des ressources pour structurer l’écosystème, créer une culture et des langages partagés, et favoriser les relations des acteurs avec des normes et obligations des membres notre écosystème sera durable. Malheureusement, il ne suffit donc pas de construire la dimension structurelle, cognitive et relationnelle de l’écosystème. Ces dimensions sont interconnectées et leurs interactions favorisent l’adaptation de l’écosystème aux spécificités de chaque territoire et de chaque écosystème.

Il est important de créer des passerelles entre ces dimensions pour favoriser les échanges et l’interconnectivité des éléments. C’est cette interconnectivité qui constitue la clé de réussite d’une écosystème entrepreneurial durable.

Figure 1 : La perspective du capital social de l’écosystème entrepreneurial

Figure 1 : La perspective du capital social de l'écosystème entrepreneurial

Source: Theodoraki et al., 2018, p.163

Applications pratiques dans différents contextes

Cette étude permet de mieux comprendre la composition de l’écosystème entrepreneurial et de proposer un cadre (grâce au capital social) pour configurer un écosystème durable. Malgré la focalisation de cette étude sur les incubateurs académiques, nos résultats sont applicables dans différents secteurs d’activités et différents contextes. Afin de construire un écosystème entrepreneurial durable, il est conseillé de : 1) créer des relations denses et fortes entre les membres pour compenser la raréfaction des ressources ; 2) développer une culture et des valeurs communes au sein de l’écosystème afin d’assurer la solidarité des membres ; 3) développer la confiance et les règles respectées par les membres afin de renforcer un climat de sécurité favorable à la co-construction de valeur ; 4) créer de passerelles entre les dispositifs pour fluidifier et rendre flexible l’évolution de l’écosystème.

Méthodologie de l’étude

La méthode qualitative par études de cas multiples a été menée à Montpellier entre 2013 et 2014 sur 3 incubateurs académiques. Le choix de ces incubateurs a répondu à quatre critères de sélection : i) la proximité et l’attachement à une université académique, ii) l’accès aux services de l’université, iii) le transfert des connaissances scientifiques et le soutien à la création de nouvelles entreprises innovantes, iv) la zone géographique. Au total, nous avons réalisé 48 entretiens semi-directifs avec tous les membres de l’écosystème entrepreneurial (responsables de structures d’accompagnement, des accompagnants, des porteurs de projets, des partenaires académiques, des organismes de financement, autres types d’incubateurs, etc.). Cette collecte de données écosystémique avec divers groupes d’acteurs nous a permis d’avoir une vision holistique du phénomène observé, de croiser différents points de vue et de générer des résultats par triangulation. Les interviews ont été conduites à l’aide d’un guide d’entretien, enregistrés, retranscrits et codés afin de proposer une synthèse des résultats.
Coécrit par Christina Theodoraki avec Karim Messeghem (Professeur des universités à l’Institut Montpellier Management, Co-directeur de la Chaire Jacques Cœur du Labex Entreprendre), et Marc P. Rice (Doyen de Babson College).