[su_pullquote align=”right”]Par Michaël Laviolette[/su_pullquote]

Les exemples d’entrepreneurs et leurs récits de réussite foisonnent quotidiennement dans les médias. Ils nous sont souvent présentés comme des personnages héroïques dont les prouesses conduisent à une issue souvent favorable et plus rarement défavorable.

Ces entrepreneurs sont ainsi exposés tels des modèles exerçant des rôles exemplaires selon le concept développé par Albert Bandura, psychosociologue et théoricien de l’apprentissage social.

En entrepreneuriat, l’impact des modèles de rôle est important car l’exemplarité joue sur le potentiel et l’intention d’entreprendre. Nombreux sont ceux ou celles qui expliquent leur décision d’entreprendre par l’observation ou l’influence d’une personne modèle. Il s’agit généralement d’un proche (ami, parent, etc.). Ce sont des modèles de rôles réels. Mais qu’en est-il des modèles symboliques ? C’est-à-dire des personnes que nous ne côtoyons pas mais auxquelles on peut s’identifier lors de leurs témoignages

Pour les étudiants, il peut s’agir du témoignage de Mark Zuckerberg, un ancien de Harvard, témoignant dans la presse, ou d’un ancien étudiant d’une grande école désormais entrepreneur communiquant en conférence. Comment ces modèles symboliques influencent-ils l’intention d’entreprendre de nos étudiants selon que leurs récits sont des réussites ou des échecs ? Quels impacts ont-ils selon certaines caractéristiques des personnes exposées (sexe, expérience, etc.) ?

Nous traitons ces questions dans le contexte éducatif car les enseignants utilisent beaucoup ces modèles de rôles sous la forme de témoignages, de citations ou de mini-cas. Alors que l’enseignement de l’entrepreneuriat devient expérientiel, ces modèles sont utilisés comme des prescriptions indiquant un chemin à suivre ou ne pas suivre pour entreprendre. Ces tactiques persuasives des professeurs sont-elles efficaces ? Qu’en est-il de leur impact sur l’auto-efficacité des étudiants et leur intention d’entreprendre ? Autrement dit, intéressons-nous à ceux qui regardent le modèle plutôt que le modèle en soi.

Plusieurs expérimentations ont été menées auprès de 276 étudiants en grande école de commerce. Certains étudiants ont été tantôt exposés à des témoignages de réussite ou d’échecs d’anciens étudiants ayant entrepris. Par ailleurs, d’autres groupes ont reçu à la fois ces témoignages avec un autre message d’encouragement des enseignants. En accord avec la littérature, nous avons testé plusieurs hypothèses principales et secondaires de cette chaîne causale allant de l’attitude des étudiants à l’égard du message des modèles de rôle à leur intention d’entreprendre.

Nos résultats ont été publiés dans 3 articles au Journal of Entrepreneurial Behaviour and Research, à la Revue Internationale PME et au Journal of Enterprising Culture.

Le premier article révèle que les modèles symboliques d’entrepreneurs qu’ils soient de réussite ou d’échec impactent significativement l’intention d’entreprendre des étudiants. Plus les étudiants ont une attitude favorable à l’égard du message, plus ils sont affectés ou émus par ces discours. Cet « éveil émotionnel » renforce la perception qu’ils ont de leur capacité à entreprendre (« auto-efficacité entrepreneuriale ») et ultimement leur intention d’entreprendre. Nous validons donc l’hypothèse centrale de l’impact de ces modèles symboliques. Dans le cas des messages positifs, ils augmentent l’intention d’entreprendre alors que les messages négatifs l’atténuent.

Cependant ces effets sont différents selon le sexe du récepteur. Les hommes sont davantage influencés par les modèles de réussite que les femmes. Alors que ces dernières sont plus influencées par les modèles négatifs. Cette différence s’explique par les normes sociales exemplifiant l’entrepreneuriat comme une activité éminemment masculine. De fait, les hommes s’identifient plus facilement à un modèle de réussite. Cette comparaison ascendante et valorisante est plus aisée pour eux. Quant aux femmes, elles s’identifient plus difficilement aux femmes entrepreneurs et elles sont plus affectées par un témoignage d’échec. La comparaison descendante et dévalorisante est malheureusement plus facile.

L’observation de différences selon le sexe des récepteurs nous conduit à envisager deux tactiques de communication persuasive en classe. Face à des étudiants, il est important d’exposer tant les modèles de réussite que ceux d’échec afin de ne pas trop idéaliser l’entrepreneuriat. Face à des étudiantes, il faut privilégier les modèles positifs au détriment des modèles négatifs. Par souci de réalisme, ces derniers ne sont pas à proscrire mais l’enseignant devrait jouer un rôle modérateur pour éviter que ces modèles d’échec ne soient trop décourageants.

Le deuxième article s’intéresse plus particulièrement au rôle d’encouragement des enseignants lors de la réception de ces témoignages de réussites ou d’échec par les étudiants. En plus du message des entrepreneurs, nous avons exposé nos étudiants à un deuxième message d’encouragement du professeur reformulant les discours afin d’en renforcer les effets.

Nous pensions que cette tactique persuasive augmenterait l’impact du message initial s’il était positif ou qu’il atténuerait son impact s’il était négatif. Cependant, les résultats démontrent que l’encouragement décourage plutôt que d’encourager alors que son contenu est identique selon que ce soit des récepteurs hommes ou femmes. Une analyse plus fine des résultats montre néanmoins des différences intéressantes selon le sexe du l’étudiant recevant le message.

Bien qu’on ne puisse pas négliger un effet de distraction avec ce deuxième message, la principale explication est à trouver dans la théorie de la réactance de Brehm. Lorsqu’un étudiant est exposé au message d’un individu auquel il s’identifie (un ancien), il est libre de lui attribuer la valeur qu’il souhaite. En revanche, lorsqu’un professeur intervient dans cette relation pour le persuader davantage, il réduit sa liberté d’interprétation. De fait, les étudiants peuvent rétablir leur autonomie en s’opposant à ses propos.

Toutefois, la réactance est plus forte chez les hommes que chez les femmes. Cette différence s’explique aussi par les normes sociales érigeant l’entrepreneuriat en une activité foncièrement masculine. Encouragés par ces normes, les hommes peuvent exprimer une opinion contraire à celle du professeur pour exprimer leur libre arbitre même si au fond ils pensent la même chose. Quant aux femmes, l’encouragement du professeur est recherché pour les conforter dans leur opinion et obtenir un assentiment social. De fait, notre recherche démontre que l’encouragement des professeurs est plus bénéfique dans le cas de l’exposition des étudiantes à des modèles de rôles féminins.

Nos articles démontrent également que pour comprendre l’impact des modèles de rôle, les caractéristiques des récepteurs (sexe en l’occurrence) sont importantes. Ainsi, notre troisième article s’intéresse aux effets modérateurs des caractéristiques des récepteurs que sont l’estime de soi, le lieu de contrôle et l’expérience antérieure. L’estime de soi renvoi à l’image positive ou négative que l’on a de soi. Le lieu de contrôle est notre sentiment que les évènements relèvent plutôt de notre contrôle ou pas. L’expérience antérieure est l’expérience passée qu’ont les étudiants en entrepreneuriat.

Nos résultats démontrent que plus l’estime de soi, le lieu de contrôle interne et l’expérience antérieure sont élevés, moins le récepteur est impacté par le message. En effet les étudiants ayant une forte estime de soi et une croyance en leur capacité à maîtriser ce qui leur arrive, sont naturellement moins influencés par les modèles externes. Autrement dit, ils s’appuient davantage sur leurs propres ressources pour croire en leur capacité à entreprendre et finalement décider de créer.

A l’inverse les étudiants ayant une faible estime d’eux-mêmes, un faible lieu de contrôle interne et une faible expérience sont plus influencés par les modèles externes. De fait, ce ces étudiants ont davantage besoin d’aller chercher une validation externe pour compenser la faiblesse de leur croyance en leur capacité propre à entreprendre. Ces résultats complètent nos analyses en montrant qu’il est aussi important d’analyser le profil des récepteurs afin de mieux comprendre l’impact des messages.

Que conclure de nos études sur la relation entre modèles de rôle et intention d’entreprendre dans le contexte éducatif ? Tout d’abord, elles valident l’importance de ces modèles sur la capacité et l’intention d’entreprendre des étudiants même s’ils ne sont que symboliques. Elles soulignent aussi que la variété des modèles, à la fois d’échec et de réussite, est cruciale pour donner des représentations plus crédibles auprès du public d’étudiants. Cependant, ces modèles de rôle n’impactent pas de la même manière les hommes et les femmes.

Compte tenu de la prédominance des modèles masculins en entrepreneuriat, il est important de tempérer l’impact de ces modèles par des tactiques d’encouragement par le professeur en particulier pour les étudiantes. Néanmoins, il est à noter que cet encouragement n’est pas efficace sur les hommes souvent plus confiants en leur propre capacité à entreprendre. Enfin, globalement, ces modèles ont un impact plus fort auprès d’étudiants doutant de leur capacité à entreprendre de par leur faible estime de soi, faible lieu de contrôle interne et faible expérience.

En définitive, cette recherche confirme qu’un modèle unique de réussite entrepreneurial n’est pas le plus efficace pour tous les publics. Il faut une pluralité des modèles pour persuader une audience diversifiée. La beauté est dans l’œil de celui qui regarde comme nous l’avait rappelé Oscar Wilde. Regardons à la fois le modèle mais surtout celle ou celui qui le regarde.

[su_spoiler title=”Méthode”]Cet article synthétise nos travaux sur l’influence des modèles de rôle sur l’intention d’entreprendre des étudiants. Ils ont été co-réalisés avec Olivier Brunel, Maître de Conférences et HDR en Marketing à L’IAE de Lyon – Ecole Universitaire de Management et Miruna Radu-Lefebvre, Professeur et HDR en Entrepreneuriat et titulaire de la chaire Entreprise Familiale et Société à Audencia Business School, Nantes.[/su_spoiler]