Par Jean-François Verdié et Maxime Maury.

Pour sortir de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a accéléré son programme d’achat de titres publics et privés (quantitative easing, ou QE), porté à hauteur de 1 350 milliards d’euros début juin, qui intensifie les mesures engagées depuis 2015 ayant déjà mobilisé près de 2 500 milliards d’euros de liquidités.

Cette intervention non conventionnelle devrait porter son bilan à quelque 6 500 milliards d’euros à fin 2020, soit l’équivalent de la moitié du PIB de la zone euro. Surtout, la BCE semble s’éloigner de plus en plus de l’esprit de son mandat.

L’Allemagne hausse le ton

Rappelons que la BCE a notamment fait sauter, au cours des derniers mois, deux « règles d’or » qu’elle s’était librement fixées pour ne pas s’engager trop loin dans le financement indirect des déficits publics : elle s’était astreinte à ne pas détenir plus d’un tiers du gisement d’une dette nationale ; elle s’était astreinte également à limiter en termes relatifs la part dans son bilan de chaque gisement de dette nationale à la fraction détenue par chaque pays dans son capital ; cette règle disparue, la BCE peut donc acheter autant de titres de dette italienne qu’elle juge nécessaire pour contenir les spreads de taux, c’est-à-dire l’écart entre les taux de contraction de dette publique de deux pays (rappelons qu’en avril, la dette italienne se plaçait à 10 ans à + 1,88 % lorsque la dette allemande se négocie au taux négatif de – 0,49 %, soit un écart considérable pour une même zone monétaire).

Cet élargissement de son mandat de facto a entraîné une contestation de son action par des centaines de citoyens et universitaires allemands qui ont porté plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsrhue. Le 5 mai, le juge a sommé la BCE de justifier, sous 3 mois, son action depuis 2015 en se référant au simple principe de « proportionnalité » de la réponse. Autrement dit, la Cour s’interroge sur une réponse excessive par rapport aux objectifs à atteindre.

Les plaignants estiment que le rôle de la politique monétaire n’est pas d’assurer les dettes publiques. C’est un dévoiement qu’ils qualifient de « fiscalisation de la politique monétaire ».

En 2015, lors du lancement du programme de QE, la Cour constitutionnelle allemande avait déposé une première plainte, mais s’était inclinée devant la Cour de Justice européenne qui avait blanchi la BCE ; cette fois-ci, elle se rebelle et menace d’interdire à la Bundesbank de participer au programme de la BCE !

Il faut replacer ces faits dans le contexte de l’Allemagne, pays d’épargne et conservant en mémoire le traumatisme de la République de Weimar minée par l’hyperinflation dans les années 1920. Outre-Rhin, le retour de l’inflation grignoterait notamment les retraites par capitalisation d’une population vieillissante qui s’inquiète que la BCE ne devienne le bras armé des « cigales du Sud ».

Une stratégie qui n’est pas sans danger

Cette création monétaire massive en effet avoir plusieurs effets pernicieux, y compris pour d’autres pays que l’Allemagne : elle peut conduire, comme on l’a observé ces dernières années, à gonfler la bulle boursière au profit des détenteurs d’actifs financiers et la bulle immobilière au profit des plus riches et au détriment des salariés urbains, ce qui en fin de compte aggrave les inégalités.

Le défaut sur une dette souveraine constitue un autre risque : L’Italie au premier chef, mais aussi dans une moindre mesure la France, sont menacées, même si à court terme l’intervention de la BCE l’en empêche.

Les spreads ont déjà augmenté depuis le début de la crise. Que deviendront-ils si l’intervention de la BCE devait se ralentir, ou si simplement le gouvernement français perdait le sens de la mesure budgétaire sous la pression des événements ?

Enfin, cette situation pourrait aboutir à l’éclatement de l’euro : la zone euro se trouve en effet déjà prise en étau entre, d’une part, la dérive économique et financière des États du Sud, et d’autre part, les critiques croissantes contre la politique d’assouplissement quantitatif poursuivie par la BCE depuis 2015 émanant des pays du nord, notamment de l’Allemagne.

La crise sanitaire pourrait donc se transformer en crise politique et provoquer un choc asymétrique en aggravant les écarts dans la zone euro, qui pourrait lui être fatale.

La zone euro aurait au contraire besoin de mutualiser progressivement les dettes pour mieux les financer. Cela reste aujourd’hui nécessaire à l’achèvement de notre zone monétaire, car contribuerait à une « Union de transferts » au profit des pays les plus fragiles et verrouillerait la pérennité de la monnaie unique sans accroître l’endettement global de la zone euro. Elle supposerait cependant une convergence des trajectoires économiques et budgétaires des différents pays consolidées par des réformes communes. C’est le prix à payer pour l’acceptation des pays dont les taux sont les plus favorables, mais un prix trop lourd du point de vue allemand.

Des petits pas vers la mutualisation des dettes

Quelle piste reste-t-il dès lors pour sortir de la crise ? La plus plausible serait que les chefs d’État se constituent demain en « directoire fédéral », nomment un ministre des finances de la zone euro, et émettent des eurobonds, c’est-à-dire des titres de dettes européens collectifs émis par l’ensemble des États membres. Il n’est pas besoin de modifier les Traités pour cela, ils en auraient le droit.

D’ailleurs, le plan de relance conjoint de 500 milliards d’euros annoncé par le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, le 18 mai dernier, devrait être financé en partie par des emprunts contractés par l’Union européenne en elle-même sur les marchés obligataires internationaux. Le fait que l’Allemagne adhère à ce mécanisme constitue une première, mais quatre pays ont d’ores et déjà marqué leur désaccord (Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède).

Le 27 mai, la Commission européenne a également semblé confirmer cette direction en confortant un plan de relance de 750 milliards d’euros qui pourrait permettre à terme d’arriver à une véritable union de transferts, conforme à la théorie des zones monétaires optimales.

Le chemin vers plus de solidarité européenne semble toutefois encore long, mais la BCE n’est plus seule et d’autres institutions prennent désormais part à la relance. Est-ce à dire qu’elle est bel et bien arrivée aux limites de son action ?

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Par Sylvie Borau, Camilla Barbarossa et Leila Elgaaied-Gambier.

En moyenne, les hommes adoptent moins de comportements pro-environnementaux que les femmes. Comme la consommation écologique est implicitement perçue comme un comportement féminin, cette réticence des hommes peut être inconsciemment alimentée par la crainte de paraître féminin, et donc peut-être de ne pas être attractif aux yeux du sexe opposé. C’est ce que certains nomment la masculinité fragile. Les résultats de notre recherche suggèrent pourtant que la consommation verte pourrait en fait augmenter l’attractivité d’un homme en tant que partenaire pour le long terme.

Les hommes achètent moins de produits verts que les femmes

L’écart en matière de comportement écologique entre les hommes et les femmes est désormais bien documenté dans la littérature sur les comportements pro-environnementaux, et la consommation verte en particulier. Les femmes sont plus impliquées dans la préservation de l’environnement et s’engagent dans des comportements de consommation plus respectueux de l’environnement que les hommes. Ces derniers semblent réticents à l’idée de s’engager dans des actes de consommation éthiques en général, car ce type de consommation serait associé à la féminité. Pourquoi ? Car le stéréotype « écolo = féminin » pourrait constituer une menace pour leur identité masculine.

La masculinité toxique pointée du doigt

Ce comportement d’évitement à l’égard des produits verts pourrait cependant avoir des conséquences dramatiques pour l’avenir de notre planète. Certains pointent la masculinité toxique comme élément inducteur de ces comportements non responsables des hommes. Dans un autre contexte, cette masculinité toxique a récemment été jugée comptable du faible port du masque par les hommes pour se protéger du Covid-19, car les masques ne seraient pas jugés assez virils.

La masculinité toxique tend en effet à être associée à la compétition, au productivisme, et à l’utilisation non raisonnée des ressources de la planète, alors que la féminité est assimilée à l’altruisme, l’empathie, et au désir d’être en harmonie avec les autres et les éléments qui nous entourent.

Mais ce stéréotype féminin associé à l’écologie constitue-t-il toujours une menace pour les hommes ? Ou les hommes peuvent-ils au contraire tirer profit de ce stéréotype ?

Notre recherche récente publiée dans Psychology & Marketing tente de répondre à ces questions, et montre effectivement que signaler des qualités féminines n’est pas toujours préjudiciable pour les hommes, au contraire.

Les hommes écoresponsables sont perçus comme altruistes, fidèles, et bons pères de famille

Les résultats d’une série d’études que nous avons réalisée auprès de plus de 1 500 répondants américains montrent que les hommes respectueux de l’environnement ont des qualités très recherchées chez un partenaire de vie. Par exemple, dans une étude, nous avons exposé 200 femmes à un ensemble de produits verts ou à un ensemble de produits conventionnels (sans référence à l’écologie). Ensuite, nous avons demandé à ces femmes de noter le propriétaire imaginaire de ces produits sur une liste d’adjectifs pouvant le décrire. Les résultats ont révélé que les propriétaires de produits verts sont certes perçus comme étant plus féminins mais, fait intéressant, pas moins masculins.

De plus, les résultats montrent que les femmes imaginent ces hommes comme plus altruistes, comme des partenaires plus fidèles et des pères de famille plus engagés et impliqués. Ces hommes sont également considérés comme plus désirables comme partenaires potentiels pour une relation à long terme par les femmes (hétérosexuelles) célibataires. Ces résultats ont été répliqués dans deux études supplémentaires.

Les hommes en couple se déclarent plus écoresponsables

Dans une dernière étude, nous avons vérifié si ces conclusions sur les hommes sont vraies. Nous avons interrogé 400 hommes afin d’en savoir plus sur leurs comportements et leur consommation écologique. Les résultats montrent que les hommes en couple et impliqués avec leur partenaire sont des consommateurs plus respectueux de l’environnement.

Ce résultat suggère que la consommation verte est un signal honnête de l’engagement des hommes à l’égard de leur partenaire de vie. En revanche, les pères de famille ne se déclarent pas davantage écologiques que les hommes sans enfant, probablement car la présence d’enfants au sein du foyer augmente le nombre d’actes délétères pour la planète, comme l’utilisation de la voiture pour les trajets familiaux par exemple – mais aussi, la consommation de nouveaux produits jetables qui génèrent beaucoup de déchets comme les couches, les lingettes, ou encore les compotes individuelles.

Une féminité positive aux yeux des femmes

Ce lien entre consommation écologique, altruisme et engagement sur le long terme, suggère que le signal de féminité envoyé par la consommation écologique n’est pas systématiquement négatif pour les hommes. Au contraire, la consommation verte des hommes s’avère être un signal positif et attractif concernant leur personnalité, et non pas répulsif comme laissaient penser les résultats de recherches précédentes.

D’un point de vue évolutionniste, les femmes ont en effet intérêt à préférer un homme altruiste, fidèle et engagé – ces qualités augmentant par le passé leur survie et celle de leur progéniture. Si la consommation écologique communique ces traits (altruisme, fidélité) les femmes vont préférer les hommes qui consomment des produits verts, au moins pour une relation à long terme. Et si les hommes ont conscience de cette préférence, ils risquent de s’y conformer.

En effet, les comportements des hommes ont tendance à être fortement influencés par les préférences des femmes. Si les hommes adaptent leur comportement écologique pour tenir compte des préférences des femmes, ils finiront par accroître leur valeur en tant que partenaires pour une relation sur le long terme.

La fin de la masculinité toxique ?

Plus globalement, cette préférence des femmes pour les hommes écoresponsables et altruistes signe peut-être l’avènement d’une masculinité moins toxique. Il y a encore quelques années, les publicitaires s’employaient en effet à renforcer l’idée d’une masculinité traditionnelle, en mettant en scène des hommes dominants et compétitifs. Depuis le mouvement « metoo », certaines marques ont bousculé les codes de la masculinité en mettant en scène dans leurs publicités des hommes moins dominants, moins compétitifs, et plus à l’écoute de leurs émotions.

C’est le cas des publicités signées par Gilette et Meetic qui prônent plutôt l’image de compagnons et de pères aimants, fidèles, et coopératifs. Même si elles ont créé un tollé sur les réseaux sociaux auprès des hommes, elles ont été plébiscitées par les femmes. On entrevoit ainsi une disparité entre ce que les hommes croient être attractifs aux yeux des femmes, et ce que les femmes trouvent attractif chez un homme – en tout cas pour tisser une relation à long terme.

La masculinité non toxique : un levier pour favoriser la consommation verte des hommes

Par conséquent, un levier pertinent pour augmenter la consommation verte chez les hommes serait de les informer des bénéfices que confère ce type de consommation aux yeux des femmes. La consommation verte peut véhiculer une image positive en signalant l’altruisme, l’engagement, et l’attachement pour son partenaire, qualités recherchées par les femmes.

Les entreprises et les gouvernements pourraient ainsi utiliser ces résultats pour accroître le comportement écologique des hommes, ce qui pourrait in fine avoir un effet bénéfique pour l’avenir de notre planète. Par exemple, les professionnels du marketing pourraient développer des publicités et des campagnes pro-environnementales montrant que les hommes qui possèdent des produits verts, ou qui adoptent des comportements de consommation écologiques, sont considérés comme plus désirables pour une relation à long terme. Communiquer sur l’avantage procuré aux hommes par les produits verts en matière de « dating », et le caractère honnête de ce signal pour les femmes (c.-à-d. partenaire fidèle) est une stratégie à développer.

Les hommes écoresponsables sont perçus comme plus désirables comme partenaires de vie pour le long terme. Et le comportement écologique des hommes est un signal honnête de la valeur d’un homme pour une relation à long terme. Promouvoir une masculinité moins toxique pourrait non seulement augmenter la valeur des hommes aux yeux des femmes, mais aussi préserver notre planète. Alors que le changement climatique s’accélère, il y a urgence à rallier les hommes à la cause écologique.

Comme on a vu l’émergence du #RealMenWearMasks on attend désormais une campagne #RealMenRecycle. Que ce soit le port du masque ou les comportements pro-environnementaux, la question du genre dans le marketing est loin d’être bénigne. La survie de notre planète en dépend.

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Par Laurent Bertrandias.

CO2-score, le retour risqué de l’étiquetage environnemental

L’affichage environnemental obligatoire était déjà envisagé en 2007, mais le projet n’a finalement jamais abouti.

Parmi les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat figure le CO2-score, cette mesure d’information du consommateur dédiée à lui indiquer si ce « qu’il mange ou achète est bon pour le climat ».

Facile à comprendre, crédible grâce à la présence de bonnes et mauvaises notes, ce dispositif est un levier de consommation responsable. Par un effet d’entraînement, il contribue à changer les pratiques des entreprises comme cela a été observé dans le cas de l’étiquette énergie.

Pour autant, aucun pays ne l’a rendu obligatoire sur l’ensemble des produits et services. En 2007, à la suite du Grenelle de l’environnement, le gouvernement envisageait d’imposer un affichage environnemental généralisé des produits et services. Après les votes du Parlement en 2009 et 2010, cette mesure d’information obligatoire des acheteurs devait entrer en vigueur 2011. Or il n’en fut rien. Elle fut remplacée par une expérimentation nationale d’un an qui déboucha sur… pas grand-chose.

Analyser les raisons de cet échec est particulièrement intéressant aujourd’hui si l’on souhaite éviter que le CO2-score ne termine à son tour au cimetière des bonnes idées jamais mises en œuvre.

L’engagement 217 du Grenelle de l’environnement de créer un droit des consommateurs à « disposer d’une information environnementale sincère, objective et complète portant sur les caractéristiques globales du couple produit et emballage » figure dans à l’article 54 de la loi Grenelle adoptée le 3 août 2009 : « La mention des impacts environnementaux des produits et des offres de prestation de services en complément de l’affichage de leur prix sera progressivement développée ». L’État n’est pourtant jamais parvenu à rendre obligatoire ce dispositif. Trois raisons principales expliquent cet échec.

Des opposants actifs

Une expérimentation nationale a été mise en place en 2011-2012 auprès d’entreprises volontaires pour tester la faisabilité et l’efficacité d’un tel dispositif. À l’époque, certaines entreprises pionnières s’appuyaient sur leur démarche d’affichage environnemental pour se différencier au sein de leur filière et n’avaient donc pas intérêt à ce qu’elle soit généralisée. D’autres participaient à l’expérimentation afin de mieux pouvoir en contrôler les aboutissements. Le soutien des associations de défense de l’environnement n’a pas contrebalancé du lobbying des grands secteurs industriels.

Les pouvoirs publics ont également dû faire face à un adversaire bien involontaire : l’Union européenne. Alors que la France réfléchissait aux suites à donner à l’expérimentation nationale, une autre menée à l’échelle européenne à partir de 2013 a justifié l’attentisme. Enfin, le projet d’un affichage obligatoire a subi le jeu politique : en 2013, même si les fonctionnaires du ministère et des entités affiliés restaient mobilisés, la nouvelle équipe gouvernementale n’a pas défendu le projet initial du Grenelle, porté par des adversaires politiques.

La difficulté de simplifier

En 2007, l’idée était de fournir un outil permettant aux consommateurs de distinguer les produits bons pour l’environnement de ceux qui l’étaient moins. Afin de donner une indication la plus objective possible, c’est la méthode de l’analyse en cycle de vie, encore en construction, qui s’est imposée. Cette méthode consiste à évaluer les effets environnementaux de la vie du produit en partant de l’extraction des matières premières nécessaires à sa fabrication jusqu’à son élimination ou sa valorisation.

Progressivement, le but de départ a dérivé vers celui de proposer une mesure la plus exacte et complète possible. Les groupes de travail avec les experts de la plate-forme Ademe/Afnor se sont épuisés à définir des référentiels précis que les opposants pouvaient toujours contester.

Un calendrier trop ambitieux

La France souhaitait alors jouer un rôle pionnier sur les questions environnementales. Avec le recul, il apparaît que l’ambition de généraliser un affichage environnemental des produits à échéance 2011 représentait un défi immense, l’élaboration des référentiels produits et des bases de données étant extrêmement longue : ce n’est qu’en 2014 que la première version de la base de données publique Impacts a été publiée. Les référentiels ne couvraient alors que 50 % des catégories de produits.

Avec ces éléments en tête, quels conseils donner pour qu’une véritable suite soit donnée à la préconisation de la Convention citoyenne pour le climat ?

S’accorder sur un socle technique

Puisque certains produits se voient attribuer de mauvaises notes d’impact, le classement des produits doit paraître le plus juste possible aux entreprises. Il est essentiel de désamorcer les contestations possibles sur les référentiels techniques en obtenant au départ un consensus sur le socle méthodologique. Dans le cas de l’expérimentation française de 2007, les groupes de travail étaient composés d’experts volontaires. Peu d’entreprises étaient engagées et leur nombre a diminué avec le temps.

La Convention citoyenne semble avoir anticipé cette difficulté en prévoyant un délai de mise au point d’une méthode de calcul harmonisée. Les méthodologies déjà en place, comme celle du bilan d’émissions de gaz à effet de serre, pourront lancer la dynamique avant l’adoption de méthodologies déclinées par produit.

Réduire le coût pour les entreprises

Les entreprises peuvent opposer que le CO2-score menace leur compétitivité en générant des coûts élevés de mise en œuvre. Il est donc essentiel de privilégier une solution simple, peu coûteuse, voire « clé en main ». L’exemple concluant des services de transport peut servir de base de réflexion.

Les entreprises du secteur, y compris les transporteurs routiers étrangers opérant en France, sont assujettis à un affichage carbone. Mais elles ont le choix entre plusieurs méthodes plus ou moins contraignantes. La plus simple et la moins coûteuse consiste à apposer une valeur générique de CO2 du mode de transport. C’est aussi souvent la moins favorable en matière d’affichage, ce qui peut inciter les entreprises à adopter un mode d’évaluation plus précis.

Ne pas perdre de temps

Si l’étiquetage des produits est un dispositif plein de promesses, il n’a encore jamais été mis en place en conditions réelles. Sur de tels sujets, les actes de consommation sont difficiles à estimer par enquêtes d’opinion. En 2011, l’expérimentation avait pour objectif d’apporter la preuve de l’impact du dispositif. Cela s’est révélé impossible puisque le caractère systématique de l’affichage est l’une des clés de son efficacité.

Pour le CO2-score, une nouvelle tentative pourrait connaître le même écueil. Pour autant, la mesure figure dans les premières places des propositions du collectif de la convention citoyenne. C’est un signal fort envoyé aux pouvoirs publics et aux entreprises qui révèle les attentes des consommateurs sur le sujet. Faute de mieux, c’est le contexte enthousiaste de sa genèse qui devra asseoir la légitimité d’un affichage obligatoire.

Appel à la vigilance citoyenne

La mise en œuvre concrète du CO2-score rencontrera certainement les obstacles qui ont conduit à l’échec de la précédente tentative d’affichage environnemental des produits. Il revient donc aux citoyens de la Convention et aux ONG d’être particulièrement attentifs. Il faudra veiller aux mesures concrètes qui seront proposées par les groupes de travail ainsi qu’aux décrets d’application, en espérant que l’esprit des conventionnés se retrouvera dans le résultat final.

Mais à terme, ce sera bien aux consommateurs d’utiliser cette information lors de leurs achats afin d’inciter les producteurs à limiter leur impact et écarter du marché les produits les moins respectueux de l’environnement.


Cet article a été coécrit avec Yohan Bernard, Maître de conférences HDR à l’université de Franche-Comté et Agnès François-Lecompte, Maître de conférences HDR à l’université de Bretagne occidentale.

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[su_pullquote align=”right”]Prof. Jean-François Verdié [/su_pullquote]The Conversation

un premier pas vers une nécessaire consolidation de la zone euro

Le plan européen décidé fin juillet renforce le caractère fédéral de l’Union qui est, selon la théorie, indispensable à la pérennité de la monnaie commune.
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On a dit, à juste titre, que l’accord européen intervenu le 21 juillet était le plus important depuis la naissance de l’euro en 1999. En effet, en se dotant de ressources fiscales propres fondant la possibilité d’emprunter en son nom, et en lançant une « union de transferts » pour quelque 390 milliards d’euros complétée par 360 milliards de prêts à bas taux, l’Union européenne a franchi un pas fédéral que l’on espère décisif.

Preuve que cet accord stratégique va dans le bon sens, les écarts de taux d’intérêt (spreads) ont baissé significativement : le plus mauvais emprunteur, l’Italie, se situe désormais à 150 points de base de l’Allemagne à 10 ans (contre 200 points il y a encore quelques semaines) lorsque la France emprunte, comme l’Allemagne, à taux nettement négatifs à 5 et 10 ans. Ce qui rend possible une politique massive d’investissement public en faveur de l’éducation, de la santé et de la transition énergétique.

Risques de divergence

Cet accord constitue donc une première étape dans la consolidation de la zone euro pour pérenniser la monnaie unique, telle que l’avait décrit Robert Mundell, lauréat du prix « Nobel » d’économie en 1999. Ce dernier avait en effet défini en 1961 les trois conditions de la pérennité d’une monnaie unique entre de nombreux pays différents :

  • un gouvernement de la zone qui puisse assurer une coordination minimale du « policy mix » (politiques monétaire et budgétaire et réformes communes pour accroître le potentiel de croissance commun) ;
  • une union de transferts pour muscler en capital la périphérie de la zone monétaire qui tend naturellement à concentrer la compétitivité en son centre ; et donc à créer des asymétries de croissance – il s’agit là de la condition pour laquelle l’accord européen apporte un début de réponse ;
  • enfin, une intégration progressive de l’épargne et des titres de dettes communs pour assurer la profondeur et la liquidité à la zone monétaire.
Robert Mundell, en 2013.
Wikimedia, CC BY-SA

Mais l’union de transferts prévus dans l’accord ne suffira pas. Le choc économique de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 confronte en effet la zone euro à des risques très dangereux de divergence entre les États membres :

D’abord, la récession reste aujourd’hui presque deux fois plus forte au sud qu’au nord.

Ensuite, les pays dits « frugaux » (Allemagne en premier lieu, Pays-Bas, Danemark et Finlande) sont entrés dans la crise avec des finances publiques équilibrées, ce qui leur donne beaucoup plus de marges de manœuvre que les pays du sud pour soutenir et relancer leurs économies.

Enfin, leur capacité à négocier entre partenaires sociaux responsables est beaucoup plus efficace qu’au sud (la « cogestion »), où le chômage connaîtra à coup sûr une envolée nettement plus forte en raison de notre incapacité à conclure des accords de flexibilité. Il risque de s’en suivre un cortège de désordres politiques et sociaux débouchant sur un populisme augmenté.

Gagner la confiance des « frugaux »

Face à ces risques qui pourraient conduire in fine à l’éclatement de la zone euro, quatre orientations principales devront être approfondies, dans le sens préconisé par la théorie des zones monétaires optimales de Mundell, pour renforcer le caractère fédéral de l’Union et y adosser l’efficacité économique et la pérennité de la monnaie commune.

Ostasgr/Shutterstock
La crise économique a aggravé les risques de divergences entre les différentes économies de la zone euro.

Il s’agit d’abord de refonder le Pacte de stabilité et de croissance, en séparant clairement les dépenses de consommation courante de l’investissement qui devra sortir du champ du déficit maximum. À taux d’intérêt négatif, il est rationnel de s’endetter pour investir, notamment dans une phase de transition énergétique et climatique.

En revanche, le Pacte devra être plus strictement appliqué par des pays comme la France qui ne l’ont jamais respecté s’agissant des dépenses courantes. Ce qui suppose de renforcer l’automaticité des sanctions contre les « passagers clandestins ».

Si cette condition première est remplie, il sera possible de gagner pleinement la confiance des pays dits « frugaux » et de pousser plus avant « l’union de transferts » qui permettra de muscler l’investissement au sud et à la périphérie de la zone.

L’Union européenne pourra se doter progressivement et régulièrement de nouvelles ressources propres en renforçant sa lutte pour la décarbonation et la réduction des inégalités dont elle est inséparable. Parmi les pistes de réflexion : la taxe carbone, une taxe sur les GAFA et les transactions financières (ainsi que sur une épargne surabondante), un écrêtement des très grosses rémunérations.

Ce serait d’ailleurs le seul moyen d’éviter en 2022 une augmentation générale des impôts nationaux sur les particuliers et les entreprises (comme on l’a vu en 2012 après la récession de 2008-2009). Seule une démarche de type fédéral permettra de positionner des prélèvements d’un type nouveau allant dans le sens d’un « nouveau monde » décarboné.

Le précédent américain

Parallèlement, la zone euro devra renforcer sa coordination et son management propre. Un directoire des chefs d’État pourrait se constituer – sans modification des traités – pour accélérer les travaux de l’Eurogroupe. La question à laquelle il devra répondre sera de savoir comment créer dans les 19 pays de l’euro des conditions fiscales, de protection sociale et de retraite équivalentes à moyen terme et quelles réformes de structure communes sont nécessaires ?

Si l’ensemble de ces conditions sont réunies, il sera possible de passer à la dernière étape, celle de la mutualisation des titres de dettes qui fut à l’origine il y a deux siècles de la fondation des États-Unis d’Amérique.

La dette nationale mutualisée des 13 premiers États fédérés américains s’est faite sous l’autorité du premier secrétaire d’État au Trésor, Alexander Hamilton. Des propositions ont déjà été formulées dans ce sens, comme celles de Jacques Delpla de la Toulouse School of Economy visant à distinguer la « dette bleue » (celle correspondant aux critères de Maastricht) à mutualiser rapidement de la « dette rouge » (celle dépassant les 60 % du PIB) restant à la charge des États.

Dès maintenant, il faudrait lancer une « union pour le financement de l’investissement et de l’innovation » comme suggéré par le gouverneur de la Banque de France pour disposer de titres de dettes et d’épargne communs en euros pour financer les entreprises sur un marché des capitaux complètement intégré, profond et liquide.

Premier marché d’exportation et première zone mondiale d’épargne, la zone euro pourrait alors disposer d’une monnaie aussi puissante et recherchée que le dollar si ces conditions étaient enfin respectées. Elle disposerait donc de moyens accrus pour faire face à la dépression en cours et à venir.

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Par Alain Klarsfeld.

Le problème, pour la communauté française, n’est pas l’existence de diverses communautés en son sein mais la tendance au séparatisme observée parmi certaines d’entre elles.

S’il est une évolution terminologique bienvenue, et sans aucun doute nécessaire depuis longtemps, c’est la remise en cause de la notion de « communautarisme » et l’avènement de celle de « séparatisme ». Utilisée pour désigner un ennemi supposé, la notion de communautarisme a pour effet de stigmatiser le plus souvent l’islam (mais parfois tout autre groupe visé au travers de ce terme, tels les LGBT, les juifs, les handicapés, les corses, les bretons) et la notion de communauté à laquelle elle emprunte sa racine. Elle n’a aucun fondement scientifique. Le terme de « séparation » (ou son cousin « séparatisme ») pointe bien mieux ce qui pose problème que celui de « communautarisme », et a l’avantage de ne pas stigmatiser la notion plus ancienne et positive de communauté.

La fabrication de la notion de « communautarisme »

Selon les tenants de l’utilisation de la notion de communautarisme, être français impliquerait de n’être membre que d’une seule communauté : la communauté nationale. Toute autre communauté est réputée ne pas exister. Cette idée est battue en brèche par plus d’un siècle de sciences sociales, notamment la sociologie et l’histoire. Nous développons des liens tant avec notre « communauté » ou environnement relationnel et culturel proche (Durkheim, dès 1893, parle de solidarité mécanique) qu’avec la société plus englobante dans laquelle s’inscrit cet environnement relationnel (Durkheim parle de solidarité organique).

S’il est indispensable de construire une société française (que d’aucuns appellent communauté nationale) pour que notre espace national ne soit pas la juxtaposition de différentes communautés coupées les unes des autres, cette « communauté nationale » ne peut se faire en niant complètement les communautés qui la composent. Ainsi, contrairement à une idée reçue, les instituteurs sous la Troisième République respectaient les parlers et les traditions locaux, traditions dont ils étaient souvent eux-mêmes issus. Un terme traduisait même la reconnaissance de ces communautés : celui de « petite patrie ».

Au contraire des termes de « communauté » et de « communautaire » qui désignent des ensembles géographiques, administratifs ou culturels, et renvoient à la notion de partage, le terme de communautarisme, qui se développe à partir du milieu des années 1990, vise à proscrire, à fabriquer un ennemi menaçant, davantage qu’il ne revêt un sens précis.

La deuxième idée sous-jacente à l’emploi du terme de communautarisme, c’est donc la stigmatisation, le plus souvent de l’islam, et parfois d’autres groupes perçus comme menaçants dès lors qu’ils affirment leur existence de manière visible. Les musulmans (ou tel autre groupe visé par le terme de communautarisme, tels les juifs, les handicapés, les Bretons, les corses, les LGBT) formeraient une « communauté » dans la communauté et, ce faisant, se soustrairaient à la communauté nationale, supposé la seule légitime.

Or, le paragraphe qui précède rappelle ce principe de réalité : nous sommes tous simultanément membres d’une petite patrie et d’une grande patrie ; d’une communauté et de la nation qui englobe ces communautés. Plutôt que d’une communauté musulmane, on serait d’ailleurs davantage fondé à parler de communautés de musulmans au pluriel, tant celles-ci peuvent varier en fonction de leur origine géographique et de leur implantation territoriale.

La menace séparatiste

Le terme de « communautarisme » souffre par ailleurs d’un inconvénient majeur : il n’a pas de validité scientifique. Aucune discipline scientifique n’en a fait un concept opératoire. Personne ne peut le définir. Il n’existe pas en anglais, langue partagée par les scientifiques du monde entier. Il ne bénéficie même pas d’un article Wikipédia en anglais. Il sert surtout (en France) à stigmatiser un groupe minoritaire dès lors que celui-ci affirme son existence.

Il n’en va pas de même à l’étranger, où nombre de pays arrivent à conjuguer allégeance forte à un socle de valeurs partagées et respect de communautés affirmant explicitement leur droit d’exister, dès lors qu’une telle affirmation ne porte pas atteinte à ce socle. Ces politiques, parfois qualifiées de multiculturalistes, se retrouvent dans des pays qui atteignent les niveaux les plus élevés de développement économique et humain : Australie, Canada, Finlande, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suède.

Or, comme le souligne l’utilisation du terme plus rigoureux de séparation, employé depuis plusieurs décennies dans les recherches scientifiques sur les processus d’acculturation, le problème n’est pas dans l’existence de différentes communautés au sein de la nation française, mais dans l’existence de stratégies identitaires visant à mettre à l’écart et à se mettre à l’écart, à se séparer d’un autre groupe (réel ou fantasmé) perçu comme l’incarnation du mal.

Ainsi, il y a bien une stratégie identitaire nationaliste visant à constituer un bloc « français de (supposée) souche », séparé d’un bloc supposément homogène, les « musulmans visibles », bloc censé être « inassimilable ». Et, comme son miroir inversé, il y a bien une stratégie identitaire chez les mouvements fondamentalistes islamistes visant à constituer un bloc de (supposés) « vrais musulmans », séparé d’un bloc supposé « mécréant », par définition « infidèle », incluant tant les non-musulmans que les très nombreux musulmans ne se reconnaissant pas dans cette construction.

Mais ni la notion de « français de souche », ni celle de « vrai musulman » ne correspondent à des communautés réelles au sens sociologique du terme. Il s’agit en revanche de constructions séparatistes visant à stigmatiser une identité supposée ennemie.

De telles stratégies ont été observées non seulement en France, mais aussi au Canada et dans la plupart des pays dans lesquels vivent des personnes issues de plusieurs cultures, c’est-à-dire dans la plupart des nations actuelles. Aucun système politique ne met complètement à l’abri de stratégies de séparation. Ces stratégies séparatistes qui menacent la cohésion de la société doivent être prévenues par des politiques inclusives. Elles doivent également être sanctionnées là où les politiques inclusives s’avèrent inopérantes. Mais pas les communautés qui existent de fait dans l’espace de notre nation, et qui en font la richesse, pour autant qu’on leur laisse le droit d’exister à l’air libre.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

[su_pullquote align=”right”]Jean-François Verdié et Maxime Maury, TBS Education[/su_pullquote]

Les quatre nouveaux piliers de la politique économique

face aux crises énergétique et climatique

Le monde va aborder plusieurs risques de crise en 2020 ou 2021 au plus tard. D’abord, un risque de récession et de crise financière avec un ralentissement économique confirmé, dans un contexte d’endettement sans précédent (plus de trois années de PIB) et de pénurie de pétrole annoncée.

Ensuite, un choc pétrolier imminent puisque, pour la première fois dans son histoire, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) évoque un risque d’oil crunch avec le franchissement du « pic du pétrole » prévu entre 2020 et 2025, pic au-delà duquel la production d’or noir va décroître irrémédiablement.

Chaque année, la demande augmente d’un million de barils-jour alors que la déplétion, qui désigne la diminution des réserves de pétrole et hydrocarbures, atteint les 2 millions de barils ; il faudra donc extraire des réserves mondiales l’équivalent de la production de l’Arabie saoudite tous les trois ans ! Cette tâche acrobatique est menacée par l’absence de nouvelles découvertes et la fragilité financière des pétroles de schiste américains.

Consommation mondiale de pétrole d’ici à 2024.
Connaissance des Énergies, d’après AIE

Enfin, une crise climatique avec l’échec retentissant de la conférence de Madrid sur le climat qui laisse pendant le défi énergétique : réduire notre consommation d’énergies fossiles pour empêcher l’emballement climatique. Avec un inévitable adieu à la croissance !

Un carré de sobriété

Ces défis appellent des changements radicaux de notre modèle de société et de notre pensée économique. D’autant plus que la théorie de « l’effondrement » nous rappelle, sous la plume de plusieurs auteurs, à l’image de l’ancien député écologiste Yves Cochet, l’avertissement du célèbre rapport Meadows de 1972 (du Massachusetts Institute of Technology pour le Club de Rome) sur « les limites de la croissance » dont la réactualisation, en 2012, par le Smithsonian Institution de Washington a malheureusement montré toute la pertinence prédictive.

Prêt pour la fin du monde, Yves Cochet nous fait visiter sa maison (Brut., juillet 2019).

Le rapport Meadows est un modèle prévisionnel biophysique qui prévoit un effondrement général de la production et de la population mondiale dans le courant de la décennie 2020 (scénario principal dit business as usual) du fait de l’épuisement des ressources énergétiques (pétrole essentiellement) et de la pollution. Il est à la base de la collapsologie.

Présentation du rapport « Meadows » (UVED, 2016).

Rien n’est fatal pour autant car la mobilisation collective et l’élan donné aux technologies peuvent encore changer la donne. Les bases de la nouvelle politique économique à mener face aux défis énergétiques et climatiques pourraient être représentées par un « carré » de sobriété et de solidarité, dont chaque pilier soutiendrait fermement les trois autres.

Il faut d’abord confier à l’Organisation des Nations unies (ONU) une délégation de souveraineté (premier pilier) pour mettre en place un prix mondial du carbone comme demandé, depuis 2015, par le prix Nobel Jean Tirole.

Ce prix doit se situer autour de 50 euros la tonne et s’appuyer sur la généralisation des permis d’émission, pays par pays, secteur économique par secteur économique. Le prix mondial du carbone devra faire l’objet d’une progression fixée à l’avance jusqu’en 2025 pour orienter l’économie.

Soutenir le pouvoir d’achat

La séquence des « gilets jaunes » a révélé que, pour les particuliers, la taxe carbone pouvait s’avérer socialement dangereuse. Cette piste reste d’autant plus à écarter que le soutien au pouvoir d’achat des salariés constitue le deuxième pilier de la nouvelle politique économique à déployer.


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Dans la mesure où la taxe carbone imposée à’l’économie risque également de se répercuter sur les particuliers, il s’agirait donc, pour éviter de dégrader la compétitivité des entreprises, de s’intéresser à d’autres leviers : l’approfondissement de l’intéressement et de la participation, le développement de l’actionnariat salarié, ou encore, comme suggérés par l’essayiste Alain Minc ou l’économiste Patrick Artus. Ces mesures permettraient un partage plus équilibré de la valeur ajoutée qui corrigerait les déséquilibres observés ces 30 dernières années. Cela redonnera goût au travail.

L’économiste Michel Aglietta – Capture d’écran Xerfi canal

Ce dispositif devrait être complété par une « monnaie-carbone » récompensant les innovations, les investissements et les procédés permettant d’économiser le CO2, comme suggéré par l’économiste Michel Aglietta.

À titre d’illustration, une opération de « monnaie hélicoptère » financée par la Banque centrale européenne (BCE) pourrait être envisagée. Cette émission de monnaie gratuite et sans contrepartie, théorisée par l’économiste libéral Milton Friedman dès 1969, pourrait ainsi inspirer un grand mouvement d’innovation et d’investissement anti-carbone.

Profiter des taux d’intérêt bas

Le troisième pilier passe par la réduction des inégalités ; l’échelle des rémunérations de 1 à 500 actuellement en cours dans les grandes multinationales est incompatible avec la sobriété et la solidarité qui s’impose désormais à l’humanité.

C’est incontestablement le « côté » le plus difficile à construire. Sans tomber dans l’utopie, il faut là aussi s’accorder au niveau des pays du G20 ou a minima au niveau des pays les plus importants. Il faudrait « écrêter » les revenus à partir d’un certain montant (encore à définir !) et affecter le produit de cette taxe au financement des infrastructures anti-réchauffement. Cela aurait aussi pour vertu de contribuer à stimuler l’activité.

Enfin, comme nous l’avons suggéré dans un article publié sur le Cercle des Échos, il faut profiter des taux d’intérêt durablement bas pour relancer l’investissement public autour de grandes infrastructures anti-carbone (quatrième pilier). Il est en effet maintenant probable que les taux d’intérêt ne remonteront jamais en raison de la forte « descente énergétique » à laquelle, libres ou contraints par le climat, nous allons devoir nous astreindre.

Si l’on suit les recommandations de Jean‑Marc Jancovici, président du Shift Project pour la transition énergétique, nous pouvons identifier quatre principales pistes de relance :

  • la relance du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération (Astrid) imprudemment abandonné par le gouvernement français et qui pourrait faire l’objet d’une coopération avec plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, pays scandinaves) ; sans un nucléaire de pointe, la France et l’Europe ne pourront faire face au déclin du pétrole.
  • L’autonomie énergétique des bâtiments publics qui sera un levier pour la rénovation de l’ensemble des logements.
  • La reconversion de l’industrie automobile vers l’hybride, l’électrique, l’hydrogène ; la diminution très rapide du coût des énergies renouvelables (division par 10 en 10 ans du coût de l’électricité photovoltaïque !) rend possible l’émergence d’un « hydrogène vert » moins cher que le pétrole.
  • La reconversion des lignes aériennes intérieures vers le chemin de fer.

Il n’est plus possible d’attendre car le réchauffement climatique et la déplétion pétrolière ne sont pas des phénomènes linéaires mais systémiques. Le temps nous est compté.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. 
Lire l’article original.

[su_pullquote align=”right”]Article initialement publié sur le site de La Conférence des Grandes Ecoles[/su_pullquote]

Enjeux stratégiques et défis

de la recherche en grande école de management

Les Grandes écoles de management forment des étudiants et des professionnels aux défis managériaux et entrepreneuriaux de demain et produisent des connaissances scientifiques en lien avec ces défis. L’activité de recherche menée en Grande école a pour vocation de nourrir de façon continue l’activité d’enseignement dans toutes ses disciplines (management stratégique, marketing, finance, gestion des ressources humaines, économie, droit, etc.) par la création et la diffusion de savoirs de pointe. La recherche de l’excellence académique caractérise toutes les écoles évoluant dans un contexte international.

Cette excellence repose sur un double corps d’expertises : celles des enseignants-chercheurs, à travers la réalisation de travaux de recherche académique (dont les publications dans des revues scientifiques internationales) et de recherche partenariale (chaires, contrats de recherche, projets européens, etc.), et celles des étudiants, par la mise en œuvre d’une pédagogie dédiée à la résolution scientifique de problématiques managériales (exemple du mémoire de recherche rédigé en fin de cursus académique).

L’activité de recherche en Grande école constitue donc une activité créatrice de valeur et une solution pour se différencier stratégiquement (à travers un portefeuille d’expertises académiques), pour innover (à travers les connaissances scientifiques produites par le corps professoral), pour s’internationaliser (à travers les collaborations internationales qu’engendrent les recherches académiques et partenariales) et pour contribuer à l’attractivité et au développement des territoires (à travers le développement d’expertises répondant à leurs besoins et le rayonnement international des travaux de recherche).

La nécessité d’une activité de recherche utile

La recherche est une activité qui doit rester utile aux décideurs privés et publics. Les organismes d’accréditation internationale tels que l’AACSB ou l’EFMD évaluent désormais cette activité en termes d’impact sur le monde des affaires et sur la société de façon plus générale. La nécessité d’un management responsable de l’activité de recherche se répand aussi dans la communauté académique internationale via des initiatives telles que celle du groupe RRBM (Responsible Research in Business and Management) qui défend l’importance d’une recherche pertinente pour les praticiens et la société. Cet objectif se matérialise par l’établissement de collaborations pluridisciplinaires, la diversité des méthodologies de recherche en sciences de gestion (quantitatives ET qualitatives) et la diffusion très large des connaissances scientifiques produites auprès d’écosystèmes composés de multiples parties prenantes (étudiants, praticiens, territoires, société, etc.).

L’activité de recherche en Grande école dispose alors d’un pouvoir fédérateur pour accompagner ces parties prenantes dans leurs engagements et stratégies de développement durable et de préservation de l’environnement. Ce pouvoir s’accroît notamment lorsque l’activité de recherche se combine à des initiatives créées par les étudiants (exemple des ANEDD, Assises Nationales Etudiantes du Développement Durable, lancées par des étudiants de TBS en 2007).

Les activités du « Groupe Recherche » du Chapitre des Ecoles de Management de la CGE

L’activité de recherche menée en école de management est soumise à de nombreuses injonctions paradoxales : recherche d’un équilibre entre excellence de la production scientifique et nécessaire impact de cette production sur le praticien et l’étudiant, impératifs d’internationalisation de l’activité de recherche mais également d’enracinement local afin de contribuer au développement des territoires sur lesquels sont implantées les écoles, impératifs de diffusion des résultats de recherche dans des revues anglo-saxonnes mais également de soutien aux revues francophones, etc. Afin d’aider à la résolution de ces différentes problématiques, un groupe de réflexion composé de directeurs et directrices de la recherche a été mis en place au sein du Chapitre des Ecoles de Management de la CGE.

La mission principale de ce groupe réside dans l’organisation d’ateliers de brainstorming consacrés à des problématiques managériales telles que la gestion des accréditations internationales, l’impact de la recherche sur les étudiants et la communauté d’affaires, l’internationalisation de l’activité de recherche, les financements externes de la recherche, le management de la pluridisciplinarité, la complémentarité entre activité de recherche et innovation pédagogique, etc. Il s’agit principalement d’échanger sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre dans le domaine du management de la recherche en Grande école.

Par ailleurs, afin de faciliter une plus grande prise de recul et une meilleure connaissance de l’environnement national et international dans lequel évoluent les Grandes écoles, des témoignages d’experts externes (représentants d’organismes d’accréditation internationale, professionnels de la recherche partenariale, etc.) irriguent très souvent les ateliers. Enfin, des articles issus des réflexions du groupe sont régulièrement publiés dans la presse spécialisée en enseignement supérieur et recherche.

Références :

[su_pullquote align=”right”]Basé sur l’article publié dans Alternatives Economiques par Victor Dos Santos Paulino[/su_pullquote]
En 2006, lors de la conférence Satellite à Washington, un nouveau venu monte sur scène pour présenter son offre devant un auditoire composé de responsables des principales organisations du secteur spatial. Nullement impressionné, ce dernier commence son discours en disant : « Salut à tous, je m’appelle Elon Musk, je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts » (Lamigeon, 2013). Une dizaine d’années plus tard, l’intervention d’Elon Musk sonne comme un défi, une exagération, voire une provocation comme les aiment parfois les entrepreneurs charismatiques et très médiatisés. Mais l’entrée de la société SpaceX a tout de même transformé un secteur très conservateur, qui avec le temps était devenu une sorte de « belle endormie ».

L’environnement spatial, territoire de rêve

En 1957, le lancement réussi du premier satellite artificiel, Spoutnik1, a concrétisé l’entrée de l’humanité dans une nouvelle ère : l’ère spatiale. La maîtrise de l’environnement spatial, qui est mal connu et très différent de l’environnement terrestre, a nécessité d’intenses efforts d’innovation. Grace à leur capacité à surmonter des difficultés à la fois technologiques et organisationnelles, les acteurs du secteur spatial ont connu des réussites qui ont largement débordé de leur domaine. On peut citer par exemple les vols spatiaux habités, la conquête de la Lune et les satellites de télécommunication. Les activités spatiales sont dès leur apparition des illustrations de ce que peut être la haute technologie, l’innovation, le progrès, voire même un possible futur pour l’humanité. On pense notamment aux très nombreuses œuvres de science-fiction qui ont pour cadre la vie dans l’espace et sur d’autres planètes.

Le paradoxe de l’innovation dans le secteur spatial

Cependant, avec le temps l’innovation dans le secteur spatial est devenue paradoxale. Par exemple, les contraintes de fiabilité sont si fortes que les satellites se composent de technologies obsolètes par rapport aux technologies utilisées dans nos objets du quotidien comme les smartphones. Dans le champ organisationnel, le constat est le même. Après avoir été pionnières dans plusieurs innovations organisationnelles concourant à la réussite de grands projets (on pense par exemple au programme Apollo), les organisations spatiales ont fait le choix de conserver les processus et routines validés lors des programmes réussis (Dos Santos Paulino, 2020).

Une succession de ruptures

Depuis le milieu des années 2000, l’industrie spatiale est entrée dans une nouvelle phase du fait de six ruptures interdépendantes : (1) nouveaux entrants, (2) nouvelles applications, (3) nouvelles technologies, (4) nouvelles réglementations, (5) nouveaux procédés, (6) nouveaux modes de financements. Souvent nommées « New Space », ces ruptures ouvrent de nouveaux champs d’opportunités pour l’innovation et elles soutiennent l’idée qu’il est possible de faire plus avec les technologies spatiales (Vernile, 2018). Permettre de se repérer à tout moment grâce au signal GPS, recevoir des programmes TV par satellite ou encore faire rouler un véhicule sur Mars n’est plus considéré comme suffisant. Si les ruptures ne s’essoufflent pas, comme c’est souvent le cas avec les opportunités d’innovation, le New Space pourrait transformer en profondeur l’industrie.

La rupture générée par les nouveaux entrants

La rupture la plus visible constitue l’arrivée de nouveaux entrants qui cherchent à exploiter les opportunités d’innovation offertes par les technologies spatiales. On trouve ici des sociétés spatiales portées par des entrepreneurs emblématiques comme Elon Musk ou encore le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, qui a créé la société Blue Origin. Cette intense activité entrepreneuriale est assez exceptionnelle dans une industrie historiquement dominée par des organisations publiques (ex. NASA, DoD, ESA, CNES) et de grandes firmes (ex. Boeing, Lockheed Martin, Airbus DS, TAS). Les nouveaux entrants sont parfois aussi des firmes qui cherchent à se diversifier, dans ce groupe ont à une surreprésentation des sociétés issues de l’économie de l’Internet (ex. Google, Facebook). Parmi les nouveaux entrants, on trouve enfin de nouveaux gouvernements issus de pays en développement qui considèrent le spatial comme une opportunité pour structurer l’effort national d’innovation (ex. Angola, Afrique du Sud, Venezuela, Vietnam).

Les nouvelles applications spatiales

Les nouvelles applications spatiales constituent la seconde rupture la plus visible. On est ici au cœur de l’idée qu’il y a des opportunités d’innovation inexploitées et qu’on pourrait faire plus avec les technologies spatiales. Les applications les plus ambitieuses sont le tourisme spatial, l’exploitation minière des astéroïdes et bien entendu la colonisation de la Lune et de Mars. Parmi les nouvelles applications envisageables à plus court terme, on peut citer le ravitaillement des satellites en orbite et le contrôle du trafic spatial. Concernant la chaîne de la valeur aval, on observe ici un bouillonnement de projets innovants nécessitant des données transmises par les satellites. On peut mentionner la voiture autonome, la prévision des risques liés au changement climatique ou tout simplement les nombreuses applications pour smartphones ayant recourt aux satellites de géolocalisation (ex. Uber) et d’observation de la Terre (ex. Google Maps).

La rupture technologique

Les nouvelles technologies spatiales sont une autre rupture majeure qui fournit de nombreuses opportunités d’innovation. Les projets en cours ambitionnent de faire changer de dimension les activités spatiales. La société SpaceX a par exemple demandé l’autorisation pour lancer 42 000 satellites de télécommunication qui fourniront un accès à Internet n’importe où sur Terre (Sciences et Avenir avec AFP, 2019). A titre de comparaison, depuis 1957, quelques 6 000 satellites ont été lancés par l’ensemble des nations spatiales. Pour le moment, 120 satellites ont été lancés par SpaceX et son futur service Starlink n’est pas encore opérationnel. Les lanceurs réutilisables sont également au centre des nouvelles technologies spatiales car ils permettraient de réduire drastiquement le cout du lancement. Après avoir été déconsidérés par les firmes en place comme Arianespace, les acteurs historiques investissement aujourd’hui également dans la mise au point de lanceurs réutilisables (ex. Ariane 6). En laissant entrevoir une baisse des coûts et une réduction des barrières à l’entrée, les nouvelles technologies stimulent l’apparition d’autres ruptures comme les nouveaux entrants et les nouveaux marchés.

Les ruptures réglementaires

Souvent moins visibles que les précédentes ruptures, les ruptures réglementaires sont la dernière rupture que nous souhaitons commenter car elle soutient de nombreuses transformations du secteur. L’entrée de la société SpaceX est par exemple le résultat d’un changement majeur dans la politique d’approvisionnement de l’agence spatiale américaine. La NASA s’est inspirée de la tendance à la servicisation observée dans l’ensemble de l’économie ; plutôt que d’acheter un lanceur, elle a décidé d’acheter un service de lancement. Elle a aussi laissé plus de marges de manœuvre aux entreprises dans les choix technologiques. Ce bouleversement a permis à SpaceX de gagner un appel d’offres significatif en proposent un lanceur réutilisable. L’autre changement majeur concerne l’assouplissement du contrôle des exportations. Les technologies spatiales peuvent être utilisées pour des usages civils comme militaires. Ce caractère dual a depuis toujours soumis le secteur à un contrôle des exportations qui limite son développement. Depuis le milieu des années 2010, ce contrôle a été relâché aux Etats-Unis, qui restent le principal exportateur de technologies spatiales. Cela a permis aux firmes américaines d’exporter leurs satellites, lanceurs et plus généralement leurs technologies spatiales (Zinger, 2015). Ces évolutions réglementaires concernent toutes les nations spatiales à des degrés divers et en fonction des spécificités de leur propre système national d’innovation. De la France à la Chine, en passant par l’Allemagne et l’Inde, toutes les nations spatiales font évoluer leurs réglementations pour libérer le potentiel d’innovation du secteur.

Les activités spatiales, un champ d’opportunités pour l’innovation

Dès leur apparition jusqu’à nos jours, les activités spatiales ont toujours constitué des champs d’opportunités pour l’innovation. Les sciences formelles et de la nature, les sciences politiques, tout comme l’histoire et le droit, ont depuis longtemps investi ces champs d’opportunités. En revanche, les sciences économiques et de gestion se sont montrées beaucoup plus timides. Nous pensons qu’intégrer les considérations de l’économie et de la gestion aux activités spatiales est indispensable pour aider à transformer les nouvelles opportunités d’innovation en développement économique. En effet, les activités spatiales semblent désormais être assez matures pour générer des retombées économiques bien supérieures à celles observées depuis le début de l’âge spatial.

Références

  • Dos Santos Paulino, V. (2020), Innovation Trends in the Space Industry, Smart Innovation, Londres, ISTE/Wiley.
  • Lamigeon, V. (2013), Falcon 9, cette fusée low-cost américaine de SpaceX qui veut détrôner Ariane 5, Challenges, novembre, disponible sur : http://www.challenges.fr/entreprise/20131125.CHA7485/falcon-9-la-fusee-low-cost-americaine-de-spacex-veut-detroner-ariane-5.html
  • Sciences et Avenir avec AFP (2019), SpaceX veut 42 000 satellites pour sa constellation Starlink. Sciences et Avenir, Consulté le 4 décembre 2019, Disponible sur : https://www.sciencesetavenir.fr/espace/systeme-solaire/spacex-veut-42-000-satellites-pour-sa-constellation-starlink_138298
  • Vernile, A. (2018), The Rise of Private Actors in the Space Sector, Cham, Springer International Publishing.
  • Zinger, K. J. (2015), An Overreaction That Destroyed an Industry: The Past, Present, and Future and US Satellite Export Controls, University Colorado Law Review, 86(1), 351-387.

[su_pullquote align=”right”]Article initialement publié dans “The Conversation” par Philippe Delacote, Etienne Lorang et Gilles Lafforgue[/su_pullquote]

Le projet de loi sur l’économie circulaire, dévoilé le 3 juin dernier devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE), est présenté comme la grande loi écologique du quinquennat d’Emmanuel Macron. Au même titre que la loi Grenelle 1 sous Nicolas Sarkozy ou la loi de Transition énergétique sous François Hollande.

Ce projet, dont la deuxième mouture apparaît plus ambitieuse que la première version ayant fuité au début de l’année, préconise entre autres : la création de nouvelles filières de Responsabilité élargie des producteurs (notamment les matériaux de construction et les cigarettes) chargées d’impliquer les acteurs économiques dans la fin de vie des produits mis sur le marché ; des incitations à l’incorporation de matières recyclées dans les produits avec la mise en place d’un bonus-malus ; et un retour à l’usage de la consigne afin d’améliorer la collecte des déchets recyclables.

Cette démarche apparaît comme une promesse de concilier efficacité environnementale et création de valeur économique. Toutefois un certain nombre de limites environnementales du recyclage sont à prendre en compte et se doivent d’être prises en compte.

Relâcher la pression sur les ressources et les sols

Le recyclage et la valorisation de certains co-produits ont deux impacts environnementaux majeurs.Ils permettent d’une part d’exercer une moindre pression sur les ressources naturelles. Leur surexploitation engendre de lourds dommages environnementaux, et peut menacer l’approvisionnement. Une réutilisation des déchets de production ou de consommation permet un certain relâchement de ces contraintes.

La gestion des stocks de déchets représente elle aussi un enjeu environnemental majeur. Risques de contamination des sols et des nappes phréatiques, d’émanations toxiques ou encore d’incendies, elle avait par exemple alimenté les débats sur le centre de stockage StocaMine. Des taux de recyclage plus importants permettraient aussi d’amoindrir le volume et donc le poids environnemental de ces stocks.

Cette double « externalité positive » de l’économie circulaire en fait donc un modèle pour l’économie de demain. Elle encourage la société à créer de la valeur tout en réduisant l’empreinte écologique de son activité.

Réutilisation des déchets et effet rebond

L’économie circulaire présente toutefois certaines limites, voire des effets pervers. Un effet rebond, c’est-à-dire une augmentation potentielle de la consommation en lien avec une meilleure utilisation des déchets, est tout d’abord à craindre. Les économistes mettent en garde contre ce phénomène dans le cas où l’amélioration des performances environnementales d’un bien entraîne une augmentation de son utilisation. En économie comportementale, certaines études montrent que l’individu, dès lors qu’il sait que le recyclage de son bien est possible, va d’autant plus consommer. Encourager à recycler peut, paradoxalement, générer des comportements moins respectueux de l’environnement du fait d’une surconsommation des biens en question.

Il est également crucial de prendre en compte les limites physiques de l’application du recyclage. Même pour des taux de recyclage très élevés, il existera une fraction de matière qui sera perdue après utilisation. C’est justement le cas des matières dont l’usage est dit « dispersif », c’est-à-dire très difficile techniquement et coûteux à récupérer. C’est par exemple le cas de l’électronique, domaine friand de matériaux rares utilisés en très faibles quantités. Dans ce cas précis, l’opportunité de recycler permet tout au plus de retarder l’échéance d’un épuisement des ressources et d’une saturation des capacités de stockage des déchets, mais en aucun cas d’atteindre cette circularité parfaite si souvent fantasmée dans le cadre d’une économie soutenable.

Ce constat est d’autant plus déterminant lorsque la consommation est croissante : la circularité, même parfaite, n’a alors que peu d’effets sur le long terme, et ne fait que retarder de quelques années les pressions sur les ressources.

Au final, améliorer l’efficacité des usages des déchets par une augmentation des taux de recyclage et une valorisation de ceux-ci peut induire des effets négatifs qui limiteraient voire annuleraient l’impact bénéfique de l’économie circulaire sur les ressources naturelles et les stocks de déchets.

Le recyclage, un processus énergivore

Au-delà de l’effet rebond, il est important de prendre en compte le fait que le recyclage, potentiellement souhaitable sous l’angle des ressources et des stocks de déchets, n’est pas neutre d’impacts. Il ne constitue donc pas le remède miracle aux menaces qui pèsent sur nos environnements. En matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES), les filières de recyclage sont certes parfois plus efficaces que les filières issues de ressources vierges, mais elles ne sont pas pour autant synonymes de neutralité carbone, comme le montre le tableau ci-dessous.

Atteindre des taux élevés de récupération de matières premières implique des opérations de séparation de matériaux qui peuvent nécessiter des processus industriels complexes, coûteux et énergivores (hydrométallurgie, pyrométallurgie…) même s’ils le sont moins que l’alternative classique de l’extraction. C’est par exemple le cas du Lithium, critique pour le développement de la mobilité électrique. On voit ci-dessous le différentiel d’émission de GES entre l’extraction de lithium vierge et différents processus de recyclages de cette matière.

À critical review and analysis on the recycling of spent lithium-ion batteries. ACS Sustainable Chemistry & Engineering, 6(2).
Lv, W., Wang, Z., Cao, H., Sun, Y., Zhang, Y., & Sun, Z.
Exemples de taux d’émissions pour la France.
Federec, 2017, « Evaluation environnementale du recyclage en France selon la méthodologie de l’analyse de cycle de vie », et ADEME

Consommation d’eau et produits chimiques

Au-delà des émissions de gaz à effet de serre, d’autres impacts nocifs sont à considérer : l’utilisation massive d’eau ou d’éléments chimiques lors du traitement de certains déchets. Ou encore la présence de produits considérés comme toxiques, difficilement maîtrisable lorsque le stock de matière première est celui de déchets, comme pour le cas des retardateurs de flammes bromés dans les plastiques.

Dans ce cas particulier du traitement des déchets incorporant des substances dangereuses ou préoccupantes, les arbitrages ne peuvent pas se faire uniquement sur les critères de préservation des ressources ou de stocks de déchets. Ils doivent également prendre en compte des éléments de risque sanitaire.

Schématiquement, le traitement de ce type de déchet peut s’effectuer selon trois procédés, dont chacun a des impacts différenciés : le recyclage présente un intérêt pour la préservation des ressources vierges, mais pose de possibles problèmes sanitaires et d’émissions de gaz à effet de serre ; le stockage est intéressant dans une optique de moindres émissions de GES, mais génère potentiellement des risques sanitaires importants ; l’incinération permet de traiter efficacement les composantes dangereuses mais génère de fortes émissions de GES.

Jusqu’à présent, l’objectif de la filière par l’incinération a consisté à convertir des risques sanitaires localisés et de court terme, en risque climatique global de plus long terme. L’accent mis sur l’économie circulaire et le recours accru au recyclage feront sans doute basculer certains arbitrages, au risque d’augmenter certaines menaces sanitaires. Il est ainsi nécessaire ici de prioriser l’éco-conception des produits, au travers le renforcement du concept de Responsabilité Élargie du Producteur, afin de circonscrire ces risques.

Indissociable de la sobriété

Pour espérer un véritable effet de l’économie circulaire sur la durabilité de nos modes de vie, il est donc nécessaire que ces usages accrus du recyclage et de la valorisation des déchets ne se fassent pas au détriment d’une remise en question de nos habitudes de consommation et de production.

L’économie circulaire est donc un beau et bon principe de base, mais le risque serait de le considérer comme une alternative à la sobriété de nos modes de vie. Ces préceptes d’économie circulaire sont indissociables d’une maîtrise de la consommation des biens générateurs de déchets.

Si le constat est peu mis en avant par les décideurs, il est en revanche souvent mis en avant par de nombreuses associations impliquées dans la transition écologique. Négawatt en fait par exemple un de ses trois axes de transition énergétique, avec l’efficacité et la substitution. C’est cette question de la sobriété qui est l’axe de transition principal menant à une empreinte écologique amoindrie et une remise en question de notre modèle actuel.The Conversation

Les Auteurs

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.The Conversation

[su_pullquote align=”right”]Par Christina Theodoraki[/su_pullquote]
D’après l’article “A social capital approach to the development of sustainable entrepreneurial ecosystems: an explorative study” publié dans Small Business Economics, 51(1), 153-170.

La création des écosystèmes entrepreneuriaux durables est au cœur des préoccupations des politiques publiques. Ce type d’écosystème est composé d’acteurs interconnectés, au sein d’un territoire, engagés pour faciliter la création de nouvelles entreprises durables. Dans ce contexte, de nombreuses questions méritent d’être posées :  Est-il possible de reproduire le succès de la Silicon Valley ? Les gouvernements devraient-ils continuer à perfuser éternellement l’écosystème avec des dotations financières ou l’écosystème peut-il atteindre un seuil de maturité qui lui permettait de s’auto-financer pour évoluer ? Quel plan d’action doit-on mettre en place pour arriver à ce seuil de maturité ? La perspective du capital social est un cadre intégrateur intéressant qui mérite d’être analysé pour répondre à ces questions.

Le contexte et son évolution

L’évolution de l’environnement entrepreneurial renforce ces questionnements. La crise économique, la baisse des financements publics, l’augmentation du nombre d’acteurs qui gravitent autour de l’entrepreneur, la compétition entre acteurs publics, parapublics et privés, l’apparition des nouveaux entrants sont de facteurs nouveaux qui menacent la survie des acteurs existants et les obligent à revoir leur modèle économique ou encore leur contribution pour le bon fonctionnement de l’écosystème.

L’université fait partie des acteurs historiques et fondateurs des écosystèmes entrepreneuriaux. La contribution des universités à la durabilité de l’écosystème entrepreneurial est cruciale. Elle contribue à la création de connaissances qu’elle transfère aux étudiants afin de les préparer à intégrer l’écosystème entrepreneurial. En parallèle, la mise en place des incubateurs académiques favorise le transfert des technologies, leur commercialisation et la création de valeur via la création des spin-offs et des jeunes entreprises innovantes. Ces incubateurs sont des acteurs intermédiaires qui construisent le pont entre les entreprises accompagnées et leur environnement externe. Leur objectif est “to act as a neutral coordinator to promote the interests of academic entrepreneurs, remove barriers to their success, and connect them to entrepreneurship support mechanisms both inside and outside the university” (Hayter 2016, p. 651–652)

Or, même si le rôle et la contribution de certains acteurs dans l’écosystème parait évident, la recherche actuelle ne parvient pas à expliquer pourquoi certains écosystèmes sont plus « durables » que d’autres. La synthèse de travaux dans ce domaine distingue trois caractéristiques pour favoriser un écosystème durable : i) la considération des spécificités territoriales ; ii) l’effet d’une culture entrepreneuriale solidaire ; iii) l’interaction continue et interdépendance de ses composants. La perspective du capital social permet de représenter la configuration d’un écosystème entrepreneurial durable.

Le rôle crucial du capital social

Le capital social est composé d’éléments tangibles et intangibles regroupés en trois dimensions : structurelle, cognitive et relationnelle (cf. figure 1). La dimension structurelle décrit les propriétés de l’écosystème (le nombre de liens entre les membres, la configuration de ces liens et leur stabilité) ; la dimension cognitive désigne la culture partagée au sein de l’écosystème (langage et objectifs communs, récits partagés) ; la dimension relationnelle se réfère aux comportements des membres (les normes à respecter, les obligations, l’identification de chaque membre -qui fait quoi-, la confiance). Réunir ces dimensions favorise la configuration optimale de l’écosystème et contribue à sa durabilité.

Nous pouvons donc supposer que si nous avons consacré des ressources pour structurer l’écosystème, créer une culture et des langages partagés, et favoriser les relations des acteurs avec des normes et obligations des membres notre écosystème sera durable. Malheureusement, il ne suffit donc pas de construire la dimension structurelle, cognitive et relationnelle de l’écosystème. Ces dimensions sont interconnectées et leurs interactions favorisent l’adaptation de l’écosystème aux spécificités de chaque territoire et de chaque écosystème.

Il est important de créer des passerelles entre ces dimensions pour favoriser les échanges et l’interconnectivité des éléments. C’est cette interconnectivité qui constitue la clé de réussite d’une écosystème entrepreneurial durable.

Figure 1 : La perspective du capital social de l’écosystème entrepreneurial

Figure 1 : La perspective du capital social de l'écosystème entrepreneurial

Source: Theodoraki et al., 2018, p.163

Applications pratiques dans différents contextes

Cette étude permet de mieux comprendre la composition de l’écosystème entrepreneurial et de proposer un cadre (grâce au capital social) pour configurer un écosystème durable. Malgré la focalisation de cette étude sur les incubateurs académiques, nos résultats sont applicables dans différents secteurs d’activités et différents contextes. Afin de construire un écosystème entrepreneurial durable, il est conseillé de : 1) créer des relations denses et fortes entre les membres pour compenser la raréfaction des ressources ; 2) développer une culture et des valeurs communes au sein de l’écosystème afin d’assurer la solidarité des membres ; 3) développer la confiance et les règles respectées par les membres afin de renforcer un climat de sécurité favorable à la co-construction de valeur ; 4) créer de passerelles entre les dispositifs pour fluidifier et rendre flexible l’évolution de l’écosystème.

Méthodologie de l’étude

La méthode qualitative par études de cas multiples a été menée à Montpellier entre 2013 et 2014 sur 3 incubateurs académiques. Le choix de ces incubateurs a répondu à quatre critères de sélection : i) la proximité et l’attachement à une université académique, ii) l’accès aux services de l’université, iii) le transfert des connaissances scientifiques et le soutien à la création de nouvelles entreprises innovantes, iv) la zone géographique. Au total, nous avons réalisé 48 entretiens semi-directifs avec tous les membres de l’écosystème entrepreneurial (responsables de structures d’accompagnement, des accompagnants, des porteurs de projets, des partenaires académiques, des organismes de financement, autres types d’incubateurs, etc.). Cette collecte de données écosystémique avec divers groupes d’acteurs nous a permis d’avoir une vision holistique du phénomène observé, de croiser différents points de vue et de générer des résultats par triangulation. Les interviews ont été conduites à l’aide d’un guide d’entretien, enregistrés, retranscrits et codés afin de proposer une synthèse des résultats.
Coécrit par Christina Theodoraki avec Karim Messeghem (Professeur des universités à l’Institut Montpellier Management, Co-directeur de la Chaire Jacques Cœur du Labex Entreprendre), et Marc P. Rice (Doyen de Babson College).