[su_pullquote align=”right”]Par Yuliya Snihur[/su_pullquote]

Dans la construction de l’identité organisationnelle de leur entreprise, les créateurs de start-up innovantes doivent valoriser simultanément sa spécificité et son appartenance à une catégorie d’entreprises existantes. L’objectif est d’atteindre « la distinction optimale » qui consiste à trouver un juste équilibre entre une identité différenciée par rapport aux autres entreprises et une identité faisant partie d’une catégorie déjà bien reconnue. Cet équilibre est important pour permettre aux start-up d’acquérir réputation et légitimité.

Etre unique mais pas trop, telle est la question. Les premières années de la vie d’une entreprise sont cruciales pour la construction de son identité. Durant cette période, le créateur (ou la créatrice) fait des choix stratégiques qu’il (ou elle) doit mettre en place rapidement pour que le projet entrepreneurial survive et se développe mais dont les conséquences seront difficiles à modifier sur le long terme. L’objectif est de parvenir à valoriser la singularité de l’entreprise en rassurant ses clients et partenaires potentiels sur sa normalité : on appelle cet équilibre la « distinction optimale ». Pour cela, il faut trouver la bonne distance entre le fait d’être unique, qui contribue à la réputation de l’entreprise, et la nécessité d’être comme les autres, de faire partie d’un groupe ou d’une catégorie existante reconnue, qui apporte de la légitimité.

A la recherche de la distinction optimale
Cet enjeu de la construction de l’identité s’impose à toute nouvelle entreprise, mais il s’impose avec encore plus d’intensité à celles qui innovent et qui introduisent de nouveaux business models, c’est-à-dire une manière d’exercer leur activité en rupture avec les pratiques existantes dans leur secteur. Ces dernières n’ont encore, par définition, ni histoire ni parcours et sont inconnues du grand public qui ne dispose d’aucune référence ni de point de comparaison sur lequel s’appuyer pour leur accorder sa confiance.

La question que pose notre étude est de savoir quels moyens mettent en œuvre ces entreprises innovantes au premier stade de leur développement pour acquérir une réputation et une légitimité auprès de leurs différents publics externes. Pour y répondre, nous avons analysé la manière dont quatre jeunes entreprises avaient construit leur identité, ces start-up ayant en commun d’avoir introduit un nouveau business model, mais appartenant à des secteurs d’activité différents : la santé, la restauration, le digital et l’hôtellerie. Les résultats permettent d’identifier quatre actions spécifiques que l’on retrouve dans tous les cas : il s’agit du story-telling, de l’utilisation d’analogies, de la recherche d’évaluations ou d’accréditations, et de l’établissement d’alliances ou de partenariats. A partir de ces résultats, nous proposons un modèle théorique qui établit un lien entre chaque action menée et ses conséquences sur l’identité de l’entreprise telle qu’elle est perçue par son public externe, chacune étant susceptible d’influencer à la fois la réputation et la légitimité de l’entreprise.

Affirmation de soi et reconnaissance extérieure
Les deux premières actions incombent uniquement au créateur (créatrice) et agissent sur le mode de proclamation ou de revendication de l’entreprise dès le début de son activité. Le story-telling raconte la genèse de l’aventure et permet de lui donner du sens. S’il valorise l’expérience individuelle ou la personnalité du créateur (créatrice), il influera sur la réputation de l’entreprise ; s’il met plus en valeur un enjeu de société, comme le développement durable, il contribuera plutôt à asseoir sa légitimité. De leur côté, les analogies permettent d’expliquer l’apport de l’entreprise en la comparant à ce que font d’autres acteurs dans d’autres secteurs, proches ou éloignés, de l’activité de l’entreprise. Lorsque ces acteurs appartiennent au même secteur d’activité, on parle d’une analogie locale qui a pour objectif d’agir sur la légitimité de l’entreprise ; dans le cas où ils appartiennent à des secteurs différents, il s’agit d’une analogie plus distante qui aboutira à un renforcement de sa réputation.

Les deux autres types d’action impliquent plus largement l’ensemble des collaborateurs. Ces actions doivent être engagées dans un second temps car elles demandent un délai de mise en œuvre plus long et font appel à une reconnaissance plus objective des compétences de l’entreprise par d’autres sociétés ou organismes. L’évaluation par des tiers peut prendre de multiples formes qui vont des classements et palmarès à des démarches de certification ou d’accréditation. Dans le premier cas, l’évaluation devra accroître sa réputation, dans le second cas elle agit sur sa légitimité. Enfin, l’établissement de partenariats permet, par des actions ponctuelles, de nouer des relations avec un tiers dans le but de bénéficier d’une association d’image, ce qui favorise la réputation de l’entreprise, ou bien justifie son appartenance à un groupe ou une catégorie et lui confère de la légitimité.

Des conséquences à confirmer dans de nouvelles recherches
La taille de notre échantillon et la courte période sur laquelle l’étude a été menée ne permettent pas de tirer des conclusions générales sur les effets de ces quatre actions. Néanmoins, la réplication de résultats similaires sur un échantillon de quatre entreprises appartenant à quatre secteurs différents permet d’énoncer les hypothèses qui apportent une nouvelle contribution à la théorie de l’identité des entreprises, notamment dans le cas particulier des entreprises qui proposent une innovation de business model dans leur secteur. Ces hypothèses pourront être testées dans de futures études sur des échantillons plus importants et à des stades plus avancés du développement des entreprises. Sur le plan pratique, les nouveaux entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation pourront y trouver des indications sur le timing et les actions à mettre en œuvre pour construire l’identité de leur entreprise.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]L’approche choisie pour cette étude qualitative est celle de l’étude de cas multiples. Pour la réaliser, Yuliya Snihur a sélectionné les quatre entreprises les plus innovantes en termes de leurs business models dans quatre secteurs différents parmi un échantillon représentatif de 165 entreprises sélectionnées au départ. Les résultats ont été obtenus en soumettant à l’étude 620 pages de sources documentaires internes et externes fournies par les entreprises et 29 entretiens avec des personnes internes (fondateurs, salariés) et externes (investisseurs, clients) aux entreprises. L’étude a été publiée en février 2016 dans la revue Entrepreneurship & Regional Development, sous le titre « Developing optimal distinctiveness: organizational identity processes in new ventures engaged in business model innovation »[/su_spoiler]

[su_pullquote align=”right”]Par David Stolin[/su_pullquote]

Le 31 mars 2005, le PDG de Lehman Brothers, Dick Fuld, était réélu au conseil de la banque d’investissement avec le soutien de 87,3% des investisseurs. Quatre ans plus tard, il était considéré comme le « pire PDG de tous les temps » par Portfolio Magazine, et largement décrit comme une personne dont les qualités professionnelles et personnelles ont contribué à la chute de Lehman et à la crise financière internationale, compte tenu de la position centrale de cette banque dans le secteur financier.

Nous ne savons pas comment chacun des actionnaires de Lehman a voté lors de cette élection, et encore moins quelles ont été leurs motivations. Mais nous savons qu’environ deux-tiers des actions de Lehman étaient détenues par d’autres grandes institutions financières, les dix principales étant Citigroup, State Street, Barclays, Morgan Stanley Dean Witter, Vanguard, AXA, Fisher Investments, MFS, Mellon Bank, et Merrill Lynch. La plupart de ces établissements et de leurs dirigeants avaient sans doute souvent affaire à Lehman et à sa direction. De fait, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils soient particulièrement bien informés sur les défaillances de M. Fuld, et qu’ils s’inquiètent de le voir concentrer les pouvoirs.

D’autre part, les défaillances de M. Fuld conjuguées à son pouvoir en faisaient un formidable ennemi. Il disait publiquement à propos de ses adversaires professionnels : « Je veux les coincer, leur arracher le cœur et le manger avant qu’ils ne meurent »

Moyennant quelques efforts, on peut s’imaginer la réaction de M. Fuld lorsqu’il a appris que Citigroup ou Merrill Lynch avait voté contre sa réélection au conseil d’administration de Lehman. Il convient de noter que chez Lehman, comme dans la grande majorité des sociétés américaines, le scrutin n’était pas confidentiel. Cela signifie que la direction de Lehman a pu savoir pour qui chacun des actionnaires avait voté. Et les investisseurs institutionnels de Lehman ont sans doute été confrontés au dilemme suivant : malgré leur désaccord, cela vaut-il la peine de s’attirer les foudres de la direction en votant contre elle ?

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Bien évidemment, le ressentiment des dirigeants à l’égard des actionnaires qui votent contre eux est normal. Mais ce sentiment est d’autant plus marqué quand la société concernée évolue dans le milieu financier, et ce pour les trois raisons suivantes.

• La première raison est liée au « réseau des anciens de la promo ». Le responsable de la société qui investit est particulièrement susceptible d’avoir des liens avec son homologue de la société bénéficiaire, si tous les deux viennent du milieu financier : il est fort probable qu’ils aient reçu la même formation, qu’ils soient membres des mêmes associations professionnelles et qu’ils aient travaillé dans les mêmes entreprises, par le passé, ou que cela se produise à l’avenir. Un vote défavorable accroit donc le potentiel de représailles (ou de réciprocité) au niveau individuel.

• La seconde raison est l’interaction au niveau de l’entreprise. Les sociétés financières ont plus tendance – que les sociétés non financières – à avoir une relation de type concurrent ou fournisseur/client, laquelle peut également donner matière à des représailles ou à une forme de réciprocité.

• Enfin la troisième raison réside dans les participations croisées. Une société financière peut détenir des actions chez son propre actionnaire institutionnel, ce qui fournit à la société un autre moyen de riposte à un vote défavorable de la part de l’actionnaire, en votant elle-même contre la direction de l’actionnaire. A l’inverse, investisseurs et sociétés bénéficiaires des investissements peuvent se renvoyer l’ascenseur en se soutenant mutuellement à travers leur vote.

Comment pouvons-nous vérifier si nos soupçons sont fondés ? Les seules institutions systématiquement contraintes de révéler leurs votes étant les fonds communs de placement américains, nous avons concentré notre étude sur ce groupe. Nos recherches empiriques suggèrent que les trois types de conflit d’intérêts énumérés ci-dessus jouent bien un rôle non négligeable. Les liens sociaux existent entre les sociétés exerçant des droits de vote et les sociétés cibles ; ces liens renforcent le soutien des premières en faveur de la direction des secondes. De surcroît, le scrutin semble influencé par la crainte de représailles sous la forme d’un vote défavorable et/ou d’une concurrence agressive à l’avenir. Nos résultats mettent en évidence le concept de « clubbiness » dans la façon dont les votes se déroulent entre les sociétés financières. Nous avons donc décidé d’en étudier les implications plus en détail. Nous montrons que les dirigeants de sociétés financières élus avec un fort soutien de leurs homologues ont tendance à exercer une surveillance moindre au niveau de la haute direction.

Pour élargir nos résultats, nous avons examiné les résultats globaux des votes afin d’évaluer si les sociétés financières, en tant que groupe, exercent un vote plus favorable à l’égard de leurs homologues du secteur financier, et les données statistiques ont confirmé notre hypothèse.

En bref, les investissements internes par et au sein du secteur financier, inéluctables et de grande ampleur, ont des effets néfastes sur sa gouvernance. Que peut-on faire pour y remédier? Nous pensons que nos travaux ont deux implications notables :

Premièrement, la notion de conflit d’intérêts qui sous-tend les stratégies de vote des investisseurs institutionnels devrait être explicitement définie afin d’y intégrer non seulement les relations fournisseur/client, mais également la concurrence sur les marchés de produits et les investissements réciproques. Cette prise en compte permettrait d’exclure du vote les individus les plus enclins à voter pour des motifs liés à leur propre intérêt ou, tout au moins, limiterait leur pouvoir.

Deuxièmement, il conviendrait de rendre confidentiel le vote par procuration dans les sociétés du secteur financier ; autrement dit les sociétés appuyées financièrement ne devraient pas avoir connaissance des votes des différents actionnaires. Cela réduirait les motivations de vote biaisées par des intérêts propres, et fondées sur de potentielles représailles ou une éventuelle réciprocité.

Il serait naïf de penser que le processus décisionnel dans le milieu des affaires pourra se débarrasser à tout jamais des conflits d’intérêts. Mais pour ce qui est du vote par procuration dans les sociétés financières, le problème est suffisamment important pour mériter que les organismes de réglementation s’y intéressent de plus près.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Afin d’enquêter sur les conflits d’intérêts entre les gestionnaires d’actifs, les auteurs ont étudié la procuration de votes des fonds communs de placement sur des propositions de gestion d’actifs. L’étude couvre la période 2004-2013 et les variables explicatives étaient les fonds, la société et la relation fonds-société. Ils ont également analysé les résultats des votes rattachés. L’étude a été publié en Mars 2017 en la version papier du Management Science Journal.[/su_spoiler]

[su_pullquote align=”right”]Par Sylvie Borau et Jean-François Bonnefon[/su_pullquote]

Alors que le nouveau maire de Londres souhaite interdire les publicités mettant en scène des mannequins féminins au corps trop maigre ou irréaliste, la question de l’efficacité publicitaire des mannequins « naturels » reste en suspens. En effet, même si de plus en plus de campagnes présentent des modèles plus ronds et plus réalistes, ces derniers restent largement minoritaires. Pourquoi ?

Alors que les publicités pour les produits cosmétiques destinés aux femmes mettent traditionnellement en scène des modèles à la beauté idéale, certaines marques ont commencé à faire évoluer leur stratégie de communication en présentant des modèles plus réalistes, moins retouchés et plus ronds, à l’instar de Dove.

Choix du mannequin dans la publicité : un problème éthique et économique

La mise en scène de ces modèles, idéaux ou naturels, pose deux problèmes majeurs, l’un éthique, l’autre économique. D’un côté, les images idéalisées de la beauté féminine imposent un standard inatteignable qui peut avoir des effets négatifs sur le bien-être psychologique des femmes, en matière d’anxiété corporelle par exemple. De l’autre, le choix de la mise en scène d’un mannequin idéal ou naturel dans la publicité pose la question de son efficacité publicitaire.
Du côté de l’annonceur comme de celui de l’agence de création, le choix de moins utiliser des images stéréotypées et retouchées, voire de les abandonner, se fondera principalement sur des critères d’impact publicitaire et probablement moins sur des considérations de responsabilité sociale. Il est donc crucial d’évaluer de manière plus précise les réactions des femmes à l’égard de ces modèles naturels ainsi que leur efficacité publicitaire. Si de nombreuses recherches se sont penchées sur la capacité d’un modèle idéal à générer de l’anxiété, moins d’attention a été accordée à la possibilité qu’un modèle naturel puisse également déclencher des émotions négatives. Or, si les modèles à la beauté idéale sont pris comme point de référence par les consommatrices, les modèles naturels peuvent être considérés comme des aberrations dans le paysage médiatique et provoquer de la répulsion, comme de la surprise désagréable voire du dégoût.

Anxiété corporelle et répulsion

L’objectif de cette étude était de comparer les réactions des femmes à une publicité de magazine contenant un modèle idéal ou au contraire un modèle naturel, à la fois en termes de réactions affectives (anxiété corporelle, répulsion) et en termes d’impact publicitaire (attitude à l’égard de la publicité, attitude à l’égard de la marque et intention d’achat). Une moitié de l’échantillon était exposée au modèle idéal traditionnellement utilisé dans les publicités pour les produits cosmétiques, l’autre moitié au modèle naturel (une femme au corps plus réaliste, aux traits physiques non stéréotypés et à l’image non retouchée).
En nous focalisant plus particulièrement sur deux émotions négatives, l’anxiété par rapport à l’apparence de son corps et la répulsion générée par les modèles, nous avions émis deux hypothèses : d’une part, que les modèles naturels diminuaient l’anxiété corporelle des lectrices, notamment pour celles avec un Indice de Masse Corporelle élevé (IMC), et que cela avait un effet positif sur l’impact de la publicité ; d’autre part, que ces modèles naturels augmentaient le sentiment de répulsion éprouvé par les femmes, avec un effet négatif sur l’efficacité de la campagne.

Des résultats surprenants

Concernant l’effet de l’exposition aux différents modèles sur les émotions négatives, il apparaît que le modèle naturel ne fait pas baisser l’anxiété corporelle des femmes. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que les répondantes ont déclaré un niveau d’anxiété déjà très élevé – ce dernier peut difficilement être davantage impacté par l’exposition à des images. En revanche, le modèle naturel génère de la répulsion, et davantage encore auprès des femmes avec un IMC élevé. Ces femmes, très insatisfaites par leur apparence, projettent probablement le sentiment de répulsion qu’elles ressentent à l’égard de leur corps sur le modèle naturel.
Concernant l’effet de ces émotions négatives, les résultats montrent que l’anxiété corporelle augmente l’efficacité de la publicité, c’est-à-dire que plus une femme est anxieuse à l’égard de son apparence, plus elle aura tendance à apprécier la publicité et la marque, et plus elle aura tendance à vouloir acheter le produit. Cet effet positif de l’anxiété sur l’impact publicitaire est plutôt contre-intuitif – les émotions négatives ayant généralement un effet négatif sur la performance publicitaire. L’autre résultat, plus logique, est que la répulsion a un effet négatif sur l’efficacité de la publicité.

Comment concilier éthique et impact publicitaire

Au final, ces résultats ne sont pas très encourageants si l’on considère le hiatus existant entre les politiques publiques, qui veulent encourager l’utilisation de modèles naturels, et les professionnels de la publicité, plus préoccupés par l’efficacité économique d’une telle stratégie, qui ont intérêt à mettre en avant des mannequins idéaux.
Que faudrait-il faire alors pour sortir d’une telle contradiction et réconcilier considérations éthique et économique ? Si l’on souhaite à la fois être efficace et ne pas générer d’émotions négatives qui peuvent soit augmenter l’efficacité, en ce qui concerne l’anxiété, soit la décroître pour ce qui est de la répulsion, l’alternative pourrait consister à ne pas mettre en scène de modèles, qu’il soit idéal ou naturel. Certaines marques ont adopté cette troisième voie, en particulier dans le domaine de la parapharmacie. Ce type de stratégie, plus respectueuse du bien-être du consommateur, suppose de construire un discours publicitaire plus informatif, se situant davantage dans le registre de l’argumentaire que celui de l’émotion.
De nouvelles investigations pourraient permettre d’affiner ces conclusions, par exemple en s’intéressant à d’autres catégories de produits que les cosmétiques, en présentant d’autres types de modèles, ou en interrogeant d’autres réactions que les émotions, comme la crédibilité que les lectrices accordent au modèle et à la publicité.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Une expérimentation a été réalisée auprès d’un échantillon de 400 femmes françaises âgées de 18 à 35 ans, représentatives de la société française en termes d’IMC, niveau d’éducation, catégorie socio-professionnelle et statut marital.
Les répondantes étaient exposées à un magazine féminin en ligne dans lequel était insérée une publicité pour un produit cosmétique, illustrée soit par un modèle idéal, soit par un modèle naturel. Elles devaient ensuite répondre à un questionnaire.[/su_spoiler]

[su_note note_color=”#f8f8f8″]Sylvie Borau est professeur de marketing à Toulouse Business School depuis 2013. Auparavant, elle a travaillé pendant 8 ans dans des instituts d’études, notamment au Canada. Sa thèse, obtenue à l’IAE de Toulouse en 2013, lui a valu de remporter en 2014 le prix de thèse Sphinx et d’être finaliste du prix AFM-FNEGE. Ses travaux de recherche portent sur le comportement du consommateur, et plus précisément sur l’attractivité physique dans la publicité. En 2016, elle a publié dans The International Journal of Advertising, en collaboration avec Jean-François Bonnefon, Directeur de Recherche CNRS à Toulouse School of Economics : « The advertising performance of non-ideal female models as a function of viewers’ body mass index: a moderated mediation analysis of two competing affective pathways ».[/su_note]

Particulièrement utilisé à l’occasion de compétitions sportives, l’ambush marketing est une stratégie payante mais qui nécessite une bonne connaissance de la législation.

Suivies par des millions de spectateurs, les compétitions sportives sont l’occasion pour les grandes marques de gagner en visibilité. Par des contrats de parrainage, elles s’associent à la manifestation en tant que sponsors officiels auprès de l’organisateur moyennant le versement de sommes vertigineuses. D’autres tentent de surfer sur l’événement en y associant indirectement leur image et de tirer profit de son impact médiatique sans supporter le coût d’un partenariat. Il s’agit, par des pratiques d’ « ambush marketing » (marketing par embuscade) de s’engouffrer dans les espaces non réservés en utilisant des thèmes, des symboles ou des images non protégés par l’organisateur.

La marque Vico s’est ainsi affichée « partenaire des supporters à domicile » à l’approche des Jeux Olympiques, et les bouteilles Heineken se sont parées des couleurs des pays de l’Euro 2016.

L’ambush marketing se déploie aux abords des terrains, sur les écrans de télévision, dans les fan-zones ou sur les réseaux sociaux. Durant la finale du Super Bowl 2015, Volvo a invité les téléspectateurs à tweeter son hashtag #VolvoContest à chaque apparition d’une publicité d’une marque de voiture, promettant son dernier SUV au tweet le plus original. La campagne «Interception» fut un succès : avec plus de 50 000 tweets reçus en quatre heures, le constructeur a réussi à accroître sa visibilité en profitant de la publicité de ses concurrents.

sirius_logo_RVB[su_pullquote align=”right”]Par Victor Dos Santos Paulino [/su_pullquote]

Face à une nouveauté radicale intervenant dans son secteur d’activité, toute entreprise oscille entre indifférence et réaction, faute d’être capable de faire la distinction en amont entre une innovation de rupture et un produit voué à l’échec. Pour résoudre ce dilemme, la solution peut être d’identifier les innovations de rupture potentielles et d’évaluer le risque qu’elles font courir aux acteurs établis, comme l’illustre le cas de l’industrie du satellite.

La miniaturisation des satellites a entraîné une évolution sur les marchés de l’industrie spatiale depuis une vingtaine d’années. Du côté de l’offre, de nouveaux fabricants ont émergé, proposant des petits satellites à moindre coût, du côté de la demande, de nouveaux clients sont apparus, voyant dans cette innovation une opportunité. En toute logique, les industriels historiques, positionnés sur le segment des satellites traditionnels de grande dimension, s’interrogent : doivent-ils considérer ces choix technologiques radicalement nouveaux comme une menace ?

L’innovation de rupture, un constat a posteriori

L’innovation est un phénomène complexe, qui ne rime pas toujours avec succès, progrès et profits. Il a par exemple été démontré que plus de 60 % des innovations débouchaient sur des échecs.. Il est également légitime que de nombreuses entreprises freinent l’adoption d’innovations dans plusieurs cas : par exemple lorsque celles-ci rendent obsolètes ou cannibalisent les produits existants ou lorsque les coûts afférents se révèlent trop importants par rapport aux bénéfices attendus. Ces facteurs expliqueraient-ils la stratégie d’inertie observée dans l’industrie spatiale ?

Par nature, l’utilisation par l’industrie spatiale d’une nouvelle technologie génère un risque : le comportement d’un composant sur terre, même dans des conditions de tests qui simulent l’espace, ne prédit pas précisément son fonctionnement en vol. Il peut être parfait ou défaillant, personne ne le sait avec certitude ! Conséquence : les constructeurs de satellites tendent à privilégier une stratégie d’inertie qui n’intègre les changements technologiques que de façon extrême¬ment prudente. Les innovations mises en œuvre sont celles qui ont fait leurs preuves. Le coût de l’échec rend les constructeurs et leurs clients prudents.

La fiabilité, un avantage concurrentiel pour les télécoms spatiales

Notre recherche, menée dans le cadre de la chaire Sirius, a pour but de répondre à cette question, et pour cela de clarifier au préalable le concept d’innovation de rupture. En effet, l’expression, très utilisée et parfois à mauvais escient, fascine, intrigue et inquiète les acteurs économiques établis, sans que l’on sache toujours de quoi l’on parle exactement.
Une innovation de rupture est un cas particulier d’innovation radicale qui vient modifier la structure d’un secteur industriel, et dont les effets peuvent aller jusqu’au remplacement des entreprises existantes par de nouveaux entrants. La difficulté est qu’on ne peut avoir la certitude qu’il s’agit d’une innovation de rupture qu’à long terme, a posteriori, une fois qu’elle s’est imposée, voire qu’elle a fait disparaître les technologies plus anciennes et les entreprises qui les portaient. A court terme, elle se traduit plutôt par un produit ou un service moins performant, destiné à une clientèle marginale, une technologie immature proposée par des petites entreprises disposant de moins de moyens, moins de compétences et une moindre connaissance du marché.
Ces caractéristiques rendent très difficile la distinction entre une innovation de rupture en phase de lancement, qui nécessite une réaction des entreprises existantes, et une innovation vouée à l’échec, qu’elles peuvent se permettre d’ignorer. Cela crée une incertitude sur la conduite à tenir, que l’on appelle le dilemme de l’innovateur : c’est à court terme, au moment où l’innovation de rupture ne constitue pas encore une menace, que celui-ci doit évaluer le danger et éventuellement s’engager sur le nouveau marché pour tenter d’en limiter les conséquences. Plus tard, cela risque d’être trop tard.

Une classification pour anticiper la menace

La question qui importe au management d’une entreprise est de pouvoir anticiper, et donc de disposer dans la mesure du possible d’outils prédictifs. Puisqu’on ne peut pas affirmer précocement la nature disruptive d’une innovation, la solution consiste à essayer de déterminer si elle en réunit les caractéristiques à court terme, autrement dit s’il s’agit d’une innovation de rupture potentielle, et dans ce cas quel type de menace elle ferait planer sur les acteurs historiques.
Car toutes les innovations de rupture n’ont pas les mêmes conséquences : certaines entraînent une substitution complète de l’ancienne technologie par la nouvelle et représentent une menace maximale, le cas typique étant la photographie argentique engloutie par le numérique ; d’autres ne font pas totalement disparaître les produits initiaux. C’est le cas dans le transport aérien, avec des compagnies low-cost qui ont capté une partie seulement de la clientèle des compagnies traditionnelles, ou bien dans la téléphonie, où la technologie fixe continue à coexister avec le mobile. Ces exemples sont caractéristiques des trois types d’innovations de rupture, dont le premier seulement est associé à un risque élevé de disparition du marché préexistant. Dans les deux autres cas, la menace apparaît plus faible pour les entreprises en place.

Les petits satellites, une menace limitée

Qu’en est-il alors de l’industrie spatiale ? Comment à partir de ce cadre conceptuel les acteurs historiques doivent-ils appréhender le développement des petits satellites ? Selon les paramètres retenus dans notre modèle théorique, ceux-ci réunissent la plupart des caractéristiques d’une innovation de rupture potentielle : une moindre performance technologique par rapport aux exigences des principaux clients traditionnels ; une plus grande simplicité ; un moindre coût ou au contraire un coût beaucoup plus important dans le cas des constellations de petits satellites ; la perspective d’introduire de nouveaux critères de performance tels que la possibilité que concevoir, construire et lancer un nouveau satellite en très peu de temps ou encore les améliorations apportées par l’utilisation de constellations en orbite basse.
Toutefois, l’analyse de la demande de ces nouveaux satellites montre qu’ils s’adressent essentiellement à de nouveaux clients, ce qui permet d’écarter l’hypothèse d’une innovation de rupture sur un marché existant, le seul cas réellement à risque pour les industriels. Leurs acheteurs se répartissent entre clients institutionnels issus de pays émergents ne disposant pas de moyens suffisants pour lancer des satellites classiques et clients privés haut de gamme exprimant de nouveaux besoins – les constellations en orbite basse – auxquels les satellites classiques ne répondent pas.
Ainsi, les petits satellites constituent bel et bien une innovation de rupture potentielle ne menaçant que faiblement les acteurs historiques. En dépit des changements structurels qu’ils peuvent entraîner pour cette industrie, le risque qu’ils viennent se substituer aux satellites classiques reste relativement faible. Ce qui ne préjuge en rien de leur succès ou de leur échec à terme.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Cette étude a été réalisée par Victor dos Santos Paulino (TBS) et Gaël Le Hir (TBS) dans le cadre de la chaire Sirius, sur une thématique proposée par les partenaires industriels de la chaire. Pour la partie théorique, les auteurs ont réalisé une revue de littérature sur la théorie de l’innovation de rupture qui leur a permis de concevoir une table des caractéristiques des innovations de rupture potentielle. Ils ont ensuite appliqué ce modèle à l’industrie du satellite en se référant à plusieurs sources d’information (informations publiques des industriels, informations sectorielles, interviews de personnes qualifiées, base de données). L’étude a été publiée en février 2016 dans le Journal of Innovation Economics & Management, sous le titre « Industry structure and disruptive innovations : the satellite industry »[/su_spoiler]

Par Alain Klarsfeld.

En France, les débats sur l’efficacité du système scolaire se cristallisent autour de l’autonomie du chef d’établissement. Une focalisation qui conduit à ignorer de nombreuses questions de management. Une analyse détaillée de certains aspects de l’organisation du système scolaire canadien – dont les bonnes performances ont été saluées par la dernière enquête PISA – fait ressortir des éléments bien plus riches.

Au Canada, le chef d’établissement est, en effet, plus autonome que son homologue français. Mais ceci est vrai dans bien d’autres pays ayant des performances éducatives moins bonnes, comme les États-Unis par exemple. On ne saurait donc trouver dans la seule autonomie des chefs d’établissements, l’explication de la bonne performance du Canada.

Le professeur, maillon d’une très longue chaîne

Il y a bien ici un « elephant in the room », une évidence si forte qu’elle est généralement invisible et absente des débats : un système éducatif est une organisation complexe dont la classe et l’établissement d’enseignement ne sont que la partie émergée.

Ce n’est pas le professeur qui éduque, seul et dans un face à face obscur, une trentaine de jeunes. Ni même une équipe d’enseignants dans un établissement isolé, sous la seule houlette d’un directeur ou d’une directrice. C’est toute une organisation – dont la maille et la qualité varient considérablement d’un pays à l’autre – qui éduque l’ensemble des jeunes à l’intérieur du périmètre qu’elle recouvre.

Au Canada, les écoles relèvent d’une organisation pleine et entière, le « conseil scolaire » (school board) qui regroupe plusieurs écoles, collèges et lycées d’un ensemble géographique donné ; une sorte de circonscription scolaire canadienne opérant sous le niveau de la province.

Les conseils scolaires canadiens

Prenons comme exemple l’un des huit conseils scolaires de la Nouvelle-Écosse (une province canadienne qui compte environ un million d’habitants). À sa tête se trouve un conseil d’administration élu, formé de personnalités extérieures, mais également un directeur général reportant à la fois à ce conseil d’administration et au ministère de l’Éducation de la province. Les huit conseils scolaires de Nouvelle-Écosse, gérant entre 500 (pour les plus petits) et 5 000 (pour le plus grand, celui de l’agglomération de la capitale Halifax) enseignants – selon une personne travaillant dans l’un de ces conseils et interrogée à ce sujet en novembre 2016.

La province canadienne de la Nouvelle-Écosse (en rouge, cliquez sur l’image pour l’agrandir). Google
Les responsables d’établissements eux-mêmes recrutent, évaluent, organisent le soutien et la formation, recadrent et, dans de très rares cas, exercent un réel pouvoir de sanction. Ils font tout ceci en lien avec la direction des ressources humaines du conseil scolaire, et pas de façon isolée. Dans les plus grands établissements, comptant environ 1 500 élèves (par exemple dans un des lycées d’Halifax, la capitale), on peut compter jusqu’à 150 enseignants ; le principal est assisté de trois adjoints.

L’évaluation de l’enseignant ne consiste pas en une note, mais en la construction d’un projet sur ses propres points à améliorer, partant non d’un jugement extérieur mais faisant appel à sa propre formulation, en concertation avec son chef d’établissement et la direction des ressources humaines du conseil scolaire. Le but est formatif (aide au développement) et non sommatif (sanction débouchant ou non sur un échelon indiciaire car la grille salariale ne prend pas en compte cette évaluation).

L’accent mis sur le soutien

S’intéresser à l’organisation, c’est aussi regarder à la loupe les autres activités dites de soutien organisationnel, c’est-à-dire de soutien aux enseignants et aux élèves.

En France, ce sont les RASED, institués en 1990 et rattachés aux circonscriptions scolaires, qui constituent l’essentiel des moyens mis à disposition des enseignants (du seul primaire) pour soutenir les élèves en difficultés. Leurs effectifs ont fondu d’un tiers entre 2008 et 2012. L’ordre de grandeur actuel est d’environ 2,5 RASED pour 100 enseignants dans le primaire. Au plus haut de leurs effectifs, en 2008, ce ratio était d’environ 4 RASED pour 100 enseignants du primaire. Ces moyens sont sans commune mesure avec ceux mis en place au Canada.

Revenons à l’exemple du conseil scolaire, un des huit que compte la Nouvelle-Écosse. Il affiche environ 5 000 élèves dans une vingtaine d’établissements encadrés par 550 enseignants environ.

Il y a environ « 20 mentors pédagogiques » à temps plein ou partiel (selon la taille de l’établissement), soit un pour chaque établissement scolaire. Le mentor pédagogique aide les enseignants à améliorer leur pédagogie, indépendamment de la discipline. Ces mentors constituent la partie émergée de l’iceberg des métiers de soutien, car forcément visibles dans toutes les écoles du conseil scolaire.

Quarante « enseignants ressources » tournant entre les différents établissements aident à mettre en place des plans de progrès individualisés pour chaque élève qui rencontre des problèmes de progression ; ces derniers peuvent être liés à des difficultés de comportement ou cognitives.

Environ 100 « aides-enseignants » accompagnent, parfois tous les jours, à temps plein et de façon individuelle, les élèves présentant les difficultés les plus importantes ; ces difficultés peuvent concerner un comportement difficile et/ou à un handicap moteur ou psychique.

Six « mentors spécialisés » en mathématiques et en maîtrise de la langue sont à la disposition des enseignants de ces disciplines dans tout le conseil scolaire, en lien avec le plan d’action éducation de la province de Nouvelle-Écosse qui met un accent particulier sur ces deux domaines de compétences dans lesquels la Province souhaite progresser. Douze « conseillers d’éducation » sont également à la disposition des 5 000 élèves, soit 1 pour 400 élèves, y compris du primaire.

En France, un conseiller (ici d’orientation, pour le collège seul) couvre a minima 1 000 élèves. Du côté du conseil scolaire canadien, on compte également cinq orthophonistes. Enfin, quatre psychologues scolaires permettent de traiter les cas les plus difficiles.

En prenant en compte l’ensemble des moyens de soutien aux enseignants et aux élèves, on arrive à un total d’environ 30 personnels de soutien pour 100 enseignants, tant au primaire qu’au secondaire. On est bien loin du rapport de 2,5 RASED pour 100 enseignants (du seul primaire) en vigueur en France ; sans compter que ce type d’assistance fait cruellement défaut dans le secondaire.

Un suivi grâce à la formation continue

Le soutien, c’est enfin la formation continue : soit, au Canada, un socle de cinq jours par an destinés à tous les enseignants ; et un budget supplémentaire dédié aux demandes individuelles des enseignants, faisant qu’environ 25 % d’entre eux suivent un, deux ou trois jours de formation supplémentaires chaque année, sur des sujets spécifiques liés à leurs demandes individuelles, selon un responsable au sein du département de l’éducation de Nouvelle-Écosse interrogé en novembre 2016.

Les actions de formation prennent des formes multiples et incluent des « jumelages » permettant à un enseignant d’observer un collègue ayant une expertise pédagogique spécifique reconnue (par exemple, la maîtrise de comportements agressifs ou celle des nouvelles technologies) pendant une journée, afin d’enrichir sa propre pratique. Par contraste, en France, la formation continue des enseignants du secondaire était en moyenne de 1,8 jour par enseignant à la fin de la décennie 2000.

La puissance d’un système éducatif ne repose donc pas seulement sur des enseignants de qualité gérés de façon autonome par un responsable d’établissement, mais sur un ensemble de mesures de soutien, tant aux enseignants qu’aux enfants et adolescents ; cela suppose une organisation regroupant plusieurs établissements, des pratiques d’évaluation constructive, des actions de formation diversifiées ainsi que des personnels de soutien exerçant des métiers reconnus.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Pourquoi les réactions rapides et intuitives prennent-elles le pas sur les décisions réfléchies et logiques dans l’acte d’achat ? Quels sont les mécanismes psychologiques sous-jacents qui peuvent expliquer les choix des consommateurs ? Dans le cadre des Matinales de la Recherche de TBS, Sylvie Borau, professeur de Marketing à TBS, a tenté de répondre à ces questions à travers deux exemples tirés de ses recherches : l’influence des modèles féminins dans la publicité et le marketing genré. Elle a montré l’influence persistante de certains mécanismes psychologiques ancestraux issus de la sélection sexuelle dans le comportement des consommateurs. Un sujet qui a passionné la centaine de participants qui devraient pouvoir désormais éviter ces biais cognitifs selon l’oratrice.

Audience croissante et lecture opérationnelle de la recherche en gestion

Organisée sur le thème du comportement des consommateurs, la 2ème édition des « Matinales de la recherche » de Toulouse Business School a réuni plus de 100 personnes (responsables d’entreprise, enseignants, journalistes, etc.) Le format permet une réelle interaction avec le monde économique : présentation des résultats de recherche d’un enseignant-chercheur de TBS, illustration avec un grand témoin du monde de l’entreprise, temps de questions-réponses avec la salle. Un caractère opérationnel voulu par TBS pour diffuser, auprès des décideurs, la recherche en gestion de ses 91 enseignants-chercheurs :
« La recherche en gestion fait l’objet de publications dans des revues académiques à forte sélection mais elle reste confidentielle hors du cercle académique. TBS déploie des actions pour accélérer l’appropriation de ses résultats par l’entreprise. Le blog TBSearch et les Matinales de la recherche en sont l’illustration », explique Denis Lacoste, directeur de la Recherche de TBS.
« Mon rôle de chercheur est de comprendre les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans les comportements irrationnels du consommateur. Il est aussi de communiquer ces résultats auprès des entreprises pour les inciter à mettre en place un marketing plus responsable et plus éthique, et également auprès du grand public pour protéger les consommateurs les plus vulnérables », indique Sylvie Borau, professeur de marketing à TBS.

Des mécanismes ancestraux de sélection sexuelle encore influents

La théorie de la sélection sexuelle* peut expliquer certains comportements a priori irrationnels des consommateurs : « Les femmes traditionnellement davantage investies dans le rôle parental (grossesse, rôle nourricier) se concurrencent entre elles pour des hommes capables de subvenir à leurs besoins et d’assurer la sécurité de la progéniture. D’où l’importance du pouvoir, du statut et de la force pour les hommes. Les hommes quant à eux recherchent des femmes présentant un potentiel de reproduction élevé, ce dernier étant communiqué par l’apparence physique, principal indicateur de jeunesse et de fertilité. D’où l’importance de la beauté pour les femmes ». Bien qu’archaïque, ce mécanisme est encore à l’œuvre dans l’inconscient des consommateurs. Sylvie Borau l’a expliqué dans le cadre des Matinales de la Recherche de TBS en s’appuyant sur deux exemples tirés de ses recherches : les modèles féminins dans la publicité et le marketing genré. A ses côtés, Jacques Rossi, fondateur de l’agence Cartoon a témoigné de l’importance de l’image des marques et des produits sur l’imaginaire des consommateurs, de l’impact sur leur comportement d’achats mais aussi de la variété des codes utilisés en fonction des produits, de la cible, des marchés ou des lieux de distribution.
* Selon la théorie de la sélection sexuelle, les espèces développent des caractéristiques physiques visant à capter l’attention du sexe opposé (sélection intersexuelle) et à décourager les concurrents du même sexe (sélection intrasexuelle).

Les modèles féminins dans la publicité

Abondants dans la publicité et dans les médias, les mannequins idéalisés suscitent de nombreuses controverses. Promoteurs d’un idéal corporel inatteignable, ils s’affichent sur des images souvent retouchées et engendrent des effets négatifs sur les consommatrices (comportements alimentaires déviants, impact sur l’estime de soi, etc.). Peu éthiques, ces pratiques marketing n’en demeurent pas moins lucratives et les recherches de Sylvie Borau démontrent que les solutions envisagées pour atténuer leur impact sont tenues en échec :

  • « l’apposition de la mention ‘Photo retouchée’ n’empêche pas les femmes de s’identifier et de vouloir ressembler aux modèles irréels »,
  • « l’utilisation d’un modèle naturel (ex. Dove) rend la publicité plus agréable, néanmoins elle n’augmente pas l’intention d’achat et peut même générer de la répulsion auprès des femmes qui ont un indice de masse corporel élevé ».

Selon Sylvie Borau, la persistance de la croyance des femmes aux messages erronés envoyés par la publicité est le résultat d’un mécanisme automatique de concurrence intrasexuelle, l’identification et la comparaison sociale avec les modèles féminins dans les medias activant les mêmes mécanismes que dans la vie réelle. Pour enrayer ce phénomène, elle préconise trois types d’action :

  • renforcer les mentions sur les photos retouchées, en précisant par exemple que l’apparence des mannequins est irréelle et inatteignable,
  • informer les consommateurs les plus vulnérables des processus inconscients de concurrence intrasexuelle et l’influence des normes culturelles comme la minceur,
  • interdire les modèles idéalisés dans les lieux publics, comme le préconise le nouveau maire de Londres.

Le marketing genré

Ciblant les consommateurs de manière différenciée en fonction de leur sexe, le marketing genré est la cible de trois critiques : générer des stéréotypes, influencer le développement de l’identité des enfants et pratiquer des surcoûts injustifiés sur des produits, souvent identiques (Pink Tax). Sylvie Borau a cherché à comprendre les bénéfices procurés par les produits genrés. Ses études ont montré que les femmes qui les possèdent sont perçues comme plus attractives par les hommes mais l’inverse n’est pas vrai. L’asymétrie de ces résultats puise sa source dans la sélection sexuelle. La motivation à posséder un objet genré diffère en fonction du sexe. Pour les femmes, elle relève de la concurrence intersexuelle tandis que pour les hommes, elle emprunte probablement les mécanismes de la concurrence intrasexuelle. Les produits genrés refléteraient le dimorphisme sexuel*, une sorte de « phénotype étendu, c’est-à-dire l’extension du corps, qui reproduit nos caractéristiques physiques et comportementales ». Par les signaux inconscients qu’ils envoient, les produits genrés confèrent un bénéfice aux consommateurs prêts à les payer plus chers. Néanmoins, la conception identitaire clivante des produits genrés se heurte à l’évolution de la société, telles qu’en témoignent les lignes de produits mixtes apparues sur le marché.
« A ce jour, dans aucun brief de client, je n’ai eu la mention « Faites nous un produit genré, utilisez ces leviers… » Ce sont la cible, les produits, les concurrents qui nous donnent les codes », témoigne Jacques Rossi, fondateur de l’agence Cartoon.

* Le dimorphisme sexuel est l’ensemble des différences morphologiques plus ou moins marquées entre les individus mâle et femelle d’une même espèce.

Une vidéo de la conférence disponible en ligne

Pour assurer la diffusion des Matinales de la Recherche auprès d’un large public, TBS les propose au format vidéo. Elles sont accessibles en ligne. La deuxième Matinale de la Recherche « Le consommateur : un animal irrationnel ? » est ainsi disponible via le lien suivant :

Cliquez-ici pour voir la vidéo reportage (3 minutes)
Cliquez-ici pour voir la vidéo intégrale de la conférence (1 heure)

Les prochaines Matinales de la Recherche

Les prochaines Matinales de la Recherche proposeront, pour la première fois, une session à Paris. Elles traiteront des sujets suivants :

  • Le speed trading (Paris), avec Laurent Germain, Professeur d’économie, finance et droit, Paris.
  • La protection des données personnelles sur internet (Toulouse), Gregory Voss, Professeur d’économie, finance.
  • L’innovation dans le domaine du spatial (Toulouse), Victor Dos Santos, Chaire Sirius.

Le TBS Research Centre au cœur de l’expertise de TBS

91 enseignants-chercheurs sont regroupés au sein du TBS Research Centre. Sa mission première est de produire des connaissances nouvelles pour irriguer les enseignements dispensés dans les différents programmes de TBS. Elle est aussi de privilégier une démarche de recherche qui contribue à la création de valeur pour l’entreprise et à l’efficacité des politiques publiques, dès lors qu’elles touchent à la sphère de l’entreprise. Les travaux des enseignants-chercheurs du TBS Research Centre sont présentés dans les meilleures conférences académiques et publiés dans les revues scientifiques les plus prestigieuses. Ils sont également accessibles à un large public sur tbsearch.fr, blog au service des cadres, dirigeants, analystes, journalistes économiques.

Sylvie Borau est Professeur en marketing à TBS depuis 2013. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion obtenu à l’IAE de Toulouse. Elle a reçu pour ce travail le prix de thèse Sphinx 2014 et a été finaliste du prix AFM-FNEGE 2014. Ses thèmes de recherche portent principalement sur les bases évolutionnistes de la consommation et l’impact des pratiques marketing sur le bien-être du consommateur. Elle a participé à différents congrès en Europe et aux Etats-Unis et a publié dans Recherche et Applications en Marketing et International Journal of Advertising (in press).

En savoir plus sur Sylvie Borau et l’actualité de ses recherches

[su_pullquote align=”right”]Par Uche Okongwu[/su_pullquote]

L’optimisation de la chaîne d’approvisionnement est avant tout une question de compromis entre la volonté de satisfaire ses clients et la nécessaire recherche de rentabilité. En agissant sur différents paramètres de planification de la supply chain, chaque acteur peut atteindre la performance correspondant à sa stratégie et à ses objectifs.

La notion de chaîne d’approvisionnement est vieille comme l’économie : de l’approvisionnement à la production et à la livraison, les acteurs successifs intervenant sur un marché donné constituent les maillons d’une chaîne, respectivement clients et fournisseurs les uns des autres. Mais le renforcement de la concurrence et le phénomène de la mondialisation ont amené les entreprises à prendre conscience du fait que les acteurs de leur chaîne d’approvisionnement partagent un objectif commun, celui de satisfaire le client final. Dès lors, l’organisation et la performance de cette chaîne d’approvisionnement (ou supply chain) revêtent une importance stratégique cruciale et croissante pour les entreprises. L’exemple de l’industrie aéronautique, où l’augmentation des cadences de production pour répondre à la forte demande, crée des tensions sur l’ensemble de la chaîne, revient régulièrement dans l’actualité économique et illustre ce rôle stratégique. Mais cette problématique concerne en réalité tous les secteurs de l’économie, aussi bien dans l’industrie que dans les services. Des chercheurs et des managers ont commencé, depuis une vingtaine d’années, à mener de nombreuses réflexions sur la manière d’optimiser la gestion de la supply chain pour améliorer la performance des entreprises, autour des notions de collaboration, d’intégration et de partage de l’information.

La difficulté, pour répondre à cette problématique, réside dans la complexité même de la supply chain : outre le nombre de maillons, il faut prendre en compte le nombre d’indicateurs de performance et surtout le nombre de paramètres sur lesquels une entreprise peut agir pour atteindre ses objectifs de performance, qui est infini. Jusqu’à présent, la recherche s’était focalisée sur un paramètre ou l’autre, parfois en les combinant de manière limitée. Notre étude propose d’aller plus loin en croisant pour la première fois plusieurs paramètres positionnés sur différentes fonctions de la chaîne (planification, approvisionnement, production, livraison), et en se demandant quelle combinaison de déterminants donnera la performance optimale.

La performance : toujours un compromis

La première question à se poser est celle des indicateurs de la performance de la supply chain, qui sont multiples et parfois contradictoires, certains étant liés à la rentabilité de l’activité, d’autres à la satisfaction du client final. Pour notre étude, nous en avons retenu trois : la marge bénéficiaire, le respect des délais et le fait de livrer les quantités demandées. Dans l’idéal, une chaîne optimale permettrait de viser le maximum sur tous ces paramètres, mais dans la réalité, aucune entreprise ne peut prétendre être la meilleure sur tous les plans. Il faut donc à un moment donné trouver un compromis, en fonction de son marché et de ses objectifs, en acceptant de « sacrifier » une partie de sa performance sur tel ou tel indicateur. En cela, la notion de performance optimale de la supply chain dépend donc des objectifs que se fixe l’entreprise en termes de rentabilité ou de satisfaction client, mais aussi de sa position sur son marché. Tout l’enjeu de la planification de la supply chain est donc de trouver ce compromis.

Le cas sur lequel nous avons travaillé est inspiré d’un cas réel. Il s’agit d’une chaîne d’approvisionnement dans le domaine du mobilier fabriquant des tables et des étagères. Parmi les 12 paramètres génériques de planification de la chaîne d’approvisionnement que nous avions identifiés, nous avons choisi d’en faire varier six et d’observer le résultat de la simulation sur nos critères de performance : l’horizon de planification (court ou long), la capacité de production en moyens humains (constante ou adaptée à la demande), le séquençage de la production (priorité aux commandes les plus anciennes ou aux plus récentes), la durée du cycle, la fiabilité des prévisions et l’existence ou non de stocks.

Dans le cas de cette supply chain, il apparaît par exemple que la capacité de production a un fort impact sur la marge et sur la capacité à répondre à la demande, tandis que le séquençage influe davantage sur le respect des délais et sur la bonne réponse à la demande.

Répondre aux priorités de l’entreprise

Ces résultats confirment l’hypothèse de départ, à savoir que différentes combinaisons de paramètres de planification auront des impacts différents sur les indicateurs de performance. Les différents paramètres de planification ne peuvent pas être pensés indépendamment des critères de performance, d’où la nécessité de faire des choix. La combinaison idéale des paramètres dépend de la performance recherchée par l’entreprise.

Les managers chargés de la planification de la supply chain disposent avec le modèle développé dans cette étude d’un outil théorique et pratique d’aide à la décision leur permettant de déterminer la combinaison optimale en fonction des priorités définies par l’entreprise. Le cadre et la méthodologie proposés, ainsi que les résultats obtenus constituent une réelle avancée de la recherche. Pour aller plus loin, il serait intéressant de combiner davantage de paramètres encore, pour peu que les moyens de simulation informatique le permettent, et de tester le modèle sur des structures de supply chain différentes et dans d’autres configurations de marché.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Pour réaliser cette étude, Uche Okongwu (TBS), Matthieu Lauras (TBS, Mines Albi), Julien François et Jean-Christophe Deschamps (Université de Bordeaux) ont réalisé une revue de littérature sur le thème de la performance de la supply chain. A partir de la question de recherche : « quelle combinaison de déterminants de planification de la supply chain permettent d’optimiser la performance de la supply chain ? », les auteurs ont modélisé des équations qu’ils ont testées sur le cas réel d’une supply chain dans le secteur du mobilier. L’étude a été publiée en janvier 2016 dans le Journal of Manufacturing Systems, sous le titre : « Impact of the integration of tactical supply chain planning determinants on performance ».[/su_spoiler]

[su_note note_color=”#f8f8f8″]Professeur de Management des Opérations et de Supply Chain Management à Toulouse Business School depuis 1991, Uche Okongwu a mené une double carrière d’ingénieur et de conseil en organisation industrielle et de chercheur. Il a obtenu en 1990 son doctorat en génie industriel à l’Institut National Polytechnique de Lorraine (Nancy). A TBS, après avoir créé le pôle organisation industrielle et le Aerospace MBA, il est aujourd’hui directeur de la prospective et de l’innovation pédagogique. Uche Okongwu a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques sur la thématique du management de la supply chain.[/su_note]

[su_pullquote align=”right”]Par Servane Delanoë[/su_pullquote]

Dans la création d’entreprise, on s’intéresse souvent plus au projet qu’à l’entrepreneur. Or cette démarche a des implications personnelles très fortes. L’évaluation des programmes de soutien personnalisé gagnerait en pertinence à prendre davantage en considération l’évolution du ressenti des entrepreneurs sur leur capacité à mener à bien leur projet, notamment sur les aspects liés à la stratégie et au financement.

Qu’y a-t-il derrière une démarche d’entrepreneuriat ? Un projet, bien sûr, qui aboutit ou non à une création d’entreprise, mais aussi et surtout un individu, le porteur de projet ou entrepreneur naissant, qui, quelle qu’en soit l’issue, sortira durablement transformé par l’expérience. Cette démarche constitue en effet une forme d’apprentissage, au cours duquel la création acquiert de nouvelles compétences, des perceptions, développe des réseaux. S’il parvient à créer son entreprise, cette transformation personnelle apportera des armes utiles à son développement. Dans le cas contraire, il pourra mettre à profit cet acquis pour préparer un projet d’entrepreneuriat ultérieur voire l’utiliser dans une activité salariée.

S’intéresser aux capacités perçues plus qu’au nombre de créations

Le porteur de projet a la possibilité de ne pas rester isolé dans sa démarche. Il est même encouragé à participer à des programmes d’accompagnement, qui peuvent impacter le projet mais aussi avoir un effet sur la personne. Malheureusement, dans l’évaluation de ces programmes, cette dimension personnelle n’est que rarement prise en compte : pour juger de leur efficacité, on a tendance à s’intéresser davantage à la satisfaction des participants ou au fait qu’ils parviennent à créer leur entreprise, mais pas aux effets que les programmes peuvent avoir sur l’entrepreneur naissant. Le but de notre étude, menée auprès des participants d’un programme d’accompagnement mis en place par les CCI de Bretagne, était précisément d’analyser cet impact personnel, en se focalisant non pas sur les compétences réelles du porteur de projet mais sur son auto-efficacité entrepreneuriale perçue, c’est-à-dire le jugement qu’il porte sur sa capacité à créer une entreprise.

Cette perception d’auto-efficacité entrepreneuriale, développée à l’origine en psychologie, est un déterminant essentiel pour se lancer dans la création d’entreprise, car le fait de ne pas s’en sentir capable peut constituer un frein majeur. Si elle est correctement évaluée, elle peut même favoriser la ténacité de l’entrepreneur face aux difficultés rencontrées. Toutefois, il s’agit d’une perception, qui n’est pas forcément représentative des capacités réelles, certains individus ayant tendance à se sous-estimer quand d’autres, à l’inverse, surestiment leurs capacités. Elle est enfin évolutive, en fonction de quatre grandes influences, l’expérience personnelle, l’observation des autres, la persuasion verbale par des tiers et l’état émotionnel ressenti.

Le choc de la confrontation avec la réalité

L’étude cherchait à mesurer l’évolution de l’auto-efficacité perçue par des entrepreneurs naissants ayant suivi un programme d’accompagnement en les interrogeant au début de leur projet, puis un an plus tard. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que la participation à un dispositif de soutien personnalisé ait un effet positif sur l’évolution de l’auto-efficacité entrepreneuriale perçue (c’est-à-dire que les porteurs de projet se sentent plus capables de créer leur entreprise) les résultats indiquent plutôt une baisse globale. Dans le détail, seule l’auto-efficacité entrepreneuriale administrative, qui concerne la planification du projet et les différentes formalités, évolue positivement, alors que les perceptions liées à la stratégie et au financement ont tendance à se dégrader.

Ces résultats peuvent s’expliquer par la confrontation avec la réalité. Au début du processus, beaucoup d’entrepreneurs naissants ont en tête une image de complexité administrative et se focalisent sur cet aspect, pour se rendre compte que, contrairement à ce qu’ils présupposent, ce n’est pas le plus compliqué, d’autant plus que depuis plusieurs années un certain nombre de mesures de simplification ont facilité ces procédures. Dans le même temps, ils prennent conscience de la difficulté à trouver des clients et des financements, de l’existence de concurrents, du manque de temps… autant d’aspects stratégiques parfois sous-estimés au moment de monter leur projet.

Ce résultat, pour surprenant qu’il soit, montre l’intérêt d’avoir une appréciation objective de l’aide à l’entrepreneuriat, en s’intéressant aux impacts individuels : l’objectif des programmes d’accompagnement est en effet d’aider les porteurs de projet à mettre en place des entreprises viables et à prendre conscience des réalités du terrain, pas nécessairement qu’un maximum d’entre eux aillent au bout de leur projet. Ce n’est donc pas une mauvaise chose que des candidats à la création d’entreprise se sentent moins capables à la fin du processus qu’au début. Un participant qui décide finalement de ne pas créer son entreprise, en prenant conscience de l’importance de la clientèle, du réseau, a l’occasion de se poser les bonnes questions, de réajuster sa capacité perçue, voire, parfois, de se rendre compte qu’il n’est pas fait pour l’entrepreneuriat. Il pourra se lancer dans le projet suivant mieux armé, en tout cas avec des perceptions plus réalistes.

Un outil pratique pour faire évoluer les programmes

Cette méthode d’évaluation constitue un outil précieux pour faire évoluer les programmes d’accompagnement, avec des implications pratiques quasi immédiates. Il pourrait par exemple être intéressant d’adopter une approche différenciée selon que les personnes au départ sous-estiment ou surestiment leurs capacités à créer une entreprise, afin de les amener à une perception plus réaliste. Concernant le cas analysé dans le cadre de cette étude, les programmes d’accompagnement pourraient insister davantage sur les aspects stratégiques et la recherche de financement.
Ces résultats constituent une avancée vers une évaluation objective des dispositifs de soutien aux entrepreneurs naissants. Il serait désormais intéressant de les affiner en travaillant sur un échantillon d’entrepreneurs naissants plus représentatif et d’étendre la recherche à différents types de soutien possibles.

[su_note note_color=”#f8f8f8″]Servane Delanoë-Gueguen est enseignant-chercheur en entrepreneuriat et en stratégie d’entreprise à Toulouse Business School, responsable de l’incubateur TBSeeds et co-responsable de l’option professionnelle « entrepreneur ». Elle est titulaire d’un PhD de l’Open University (UK) portant sur l’entrepreneuriat naissant. Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat naissant, les écosystèmes entrepreneuriaux, l’aide à la création d’entreprise, l’intention entrepreneuriale et les processus d’incubation. Cette publication est une synthèse de l’article « Aide à la création d’entreprise et auto-efficacité entrepreneuriale », publié en 2015 dans la Revue de l’entrepreneuriat.[/su_note]

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Pour mener ce travail de recherche, Servane Delanoë-Gueguen a réalisé une étude longitudinale. A partir d’une revue de littérature, elle a élaboré un modèle théorique avec 3 hypothèses de recherche postulant l’évolution sur un an de l’auto-efficacité entrepreneuriale des porteurs de projet ayant suivi un programme d’accompagnement et ayant concrétisé ou non leur projet, avec une différenciation par sexe. Le modèle a ensuite été testé auprès d’un groupe d’entrepreneurs naissants. La première année, 506 personnes ont répondu à un questionnaire permettant d’évaluer leurs perceptions entrepreneuriales. L’année suivante, 394 d’entre elles ont pu être recontactées, sur lesquelles 325 avaient réellement un projet de création en cours. Sur cet échantillon, 193 personnes ont répondu à nouveau au questionnaire. [/su_spoiler]

[su_pullquote align=”right”]Par Pierre-André Buigues et Denis Lacoste[/su_pullquote]

Au fil de la décennie 2000, les exportations des constructeurs automobiles français n’ont cessé de décroitre. Au début des années 2000, PSA exportait 54 % de la production faite en France et Renault 47 %.

10 ans plus tard, ce pourcentage a baissé de plus de 20 points pour PSA et le cas de Renault est encore plus critique puisque ce constructeur est devenu importateur de véhicules en France. Renault produit désormais en France moins de véhicules qu’il n’en y immatricule ! Et la balance commerciale de la France dans l’automobile est devenu largement déficitaire, le dernier excédent datant maintenant de 2004 !

Est-ce que cela signifie que les constructeurs français sont devenus moins internationaux ?

Pas du tout. En effet, dans le même temps, les constructeurs hexagonaux ont entrepris un vaste mouvement d’implantations d’usines d’assemblages à l’étranger. Au début des années 2000, la production à l’étranger des deux constructeurs représentait environ 70 % de la production domestique. En 2010, le rapport entre la production à l’étranger et la production domestique est voisin de 170 % pour PSA et atteint presque 300 % pour Renault.

On pourrait penser que ces évolutions sont liées aux conditions macro-économiques et monétaires de la zone euro. L’observation des évolutions des stratégies des constructeurs automobiles allemands montre qu’il n’en est rien. Sur la même période 2000-2010, on peut constater que l’intensité d’exportation de Volkswagen est restée stable et que celle de Mercedes et de BMW a augmenté.

Comment expliquer cette substitution de la délocalisation à l’exportation ?

Les spécialistes de la stratégie s’accordent à penser que le choix des modalités d’internationalisation est lié à deux éléments principaux : les avantages concurrentiels des firmes d’une part et les conditions économiques de la production dans le pays d’origine d’autre part.

Les avantages concurrentiels des constructeurs français. Schématiquement, Les entreprises industrielles ont le choix entre des stratégies de coût faible ou des stratégies de différenciation qui visent l’innovation technologique. Une stratégie orientée vers des prix bas conduit les entreprises à délocaliser une part importante de la production vers des pays à bas coût. A l’inverse, une stratégie de différenciation est synonyme d’une propension plus forte à l’exportation car l’avantage concurrentiel repose sur la R&D et donc sur des compétences fortes disponibles dans les seuls pays développés. Les premières vont chercher à l’étranger une main d’œuvre à moindre coût alors que les secondes seront moins pénalisées par des coûts de production plus élevés liés à la production domestique et pourront bénéficier des effets positifs liés à l’interaction entre la production et la R&D.

Dans le cas de l’automobile, les différences en matière de stratégie d’innovation sont considérables entre les entreprises françaises, qui privilégient les implantations à l’étranger, et leurs homologues allemands, qui maintiennent un niveau d’exportation élevé. Volkswagen investissait déjà plus de deux fois plus en recherche que Renault et PSA au début des années 2000 et ce rapport est passé à 3 en 2010. Si l’on observe plus précisément le contenu en R&D de chaque véhicule vendu, on constate bien sûr qu’il est très important chez les constructeurs haut de gamme comme Mercedes et BMW (supérieur à 2000 € par véhicule) mais même chez les généralistes, le contenu en R&D d’une voiture Volkswagen est de 20 % supérieur à celui de Renault et 45 % supérieur à celui de PSA. Là aussi, l’écart se creuse sur la décennie 2000 : la progression des dépenses en R&D par véhicule des constructeurs allemands est bien supérieure à celle des français.

Les conditions économiques françaises. L’environnement plus ou moins favorable des entreprises dans leur pays d’origine, en particulier en termes de coût, a également une incidence sur leurs choix en termes d’internationalisation. Qu’en est-il pour l’automobile française et en quoi se l’environnement français se distingue-t-il de l’environnement allemand ? Si l’on observe les choses à un niveau très général, on constate que sur la décennie 2000, le coût horaire du travail dans l’ensemble de l’industrie a augmenté de 38% en France, contre seulement 17% en Allemagne. Par ailleurs, une observation plus fine de la filière automobile fait apparaitre une productivité par salarié qui est plus faible en Allemagne qu’en France en 2000 mais qui augmente très fortement sur la période alors qu’en parallèle elle baisse en France. En 2008, la productivité des salariés est de 25 % supérieure dans l’industrie automobile allemande par rapport à la France ce qui s’explique par les investissements faibles des constructeurs français en France, la priorité étant les usines à l’étranger.

Ainsi, même si l’on peut en déplorer les conséquences très négatives en termes d’emploi et de création de richesses sur le territoire français, les constructeurs automobiles français ont fait des choix stratégiques cohérents en matière d’internationalisation compte tenu de leur faible dépense en R&D, de leur positionnement en moyen et bas de gamme et de l’évolution défavorable des conditions de production domestique en termes de coût. Il n’est toutefois pas surprenant de constater que les niveaux de marges des constructeurs français sont inférieurs à ceux des allemands. Par exemple, sur la période 2000-2010, la marge opérationnelle par véhicule était de 635 euros pour VW et autour de 250 euros pour Renault et PSA.

L’automobile est-il un secteur spécifique en France ?

Malheureusement pour le commerce international français et l’emploi, le secteur automobile n’est pas un cas isolé. La France compte en effet beaucoup moins d’entreprises exportatrices que l’Allemagne et la part des exportations dans le PIB y est presque deux fois plus faible. En revanche, la France compte plus de grandes multinationales que l’Allemagne (par exemple 14 dans le top 100 mondial contre 10) et ces multinationales françaises ont une part plus importante de leurs effectifs à l’étranger que leurs homologues allemandes.

Ainsi, c’est seulement au prix d’une modification radicale du positionnement stratégique des entreprises localisées en France et d’une amélioration des conditions de production dans l’hexagone que la France pourra redevenir une terre d’exportation !

[su_note note_color=”#f8f8f8″]Par P.A. Buigues et D. Lacoste. Les données de ce texte sont issues des articles : « Les déterminants des stratégies internationales des constructeurs automobiles européens : exportation ou investissements directs à l’étranger, publié en 2015 dans la revue Gérer et Comprendre, écrit par les auteurs en collaboration avec M. Saias M, et « Les Stratégies d’internationalisation des entreprises françaises et allemandes : deux modèles d’entrée opposés », écrit par les auteurs et à paraitre dans Gérer et Comprendre en 2016 ainsi que de l’ouvrage écrit par les auteurs « Stratégies d’Internationalisation des entreprise » paru en 2011 aux éditions De Boeck. [/su_note]

[su_spoiler title=”Méthodologie”]La base de données a été constituée principalement à partir des informations publiées par les constructeurs dans leurs rapports annuels, des données fournies par le Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA), par l’Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles (OICA) et par Eurostat. Les données relatives aux modes d’internationalisation, aux stratégies et aux conditions économiques ont été analysées sur l’ensemble de la période 2000-2010. [/su_spoiler]

[su_spoiler title=”Applications pratiques”]Ce travail montre que le diagnostic des choix des entreprises en matière d’internationalisation ne peut pas se faire indépendamment de l’analyse des autres dimensions de sa stratégie (en particulier en termes de positionnement) et des conditions économiques de son territoire d’origine. Ce travail suggère également que les investissements à l’étranger ne sont pas nécessairement le nec plus ultra de l’internationalisation. Le cas de l’industrie automobile indique qu’il est possible, même dans une industrie globale, de conserver une part importante de sa production sur son territoire domestique tout en étant performant. [/su_spoiler]