[su_pullquote align=”right”]Par Amadou LÔ [/su_pullquote] Ordre ou désordre ? Stabilité ou flexibilité ? Contrôle ou laissez-faire ? Les problématiques liées à la gestion de l’action collective à long terme ont longtemps été présentées dans une logique binaire dont le choix relevait de l’exclusivité. Or, l’élaboration de stratégies compétitives implique, aujourd’hui plus que jamais, une logique adaptée aux dynamiques économiques caractérisées par des tendances qui peuvent paraître contradictoires, au premier abord. Concomitamment, l’évolution des pratiques et des espaces collaboratifs occupent une place importante dans les transformations des modes de travail. Le Fab Lab d’entreprise en est une incarnation qu’il semble intéressant d’analyser.
Qu’est-ce qu’un Fab Lab d’entreprise ?
Récemment, un nouvel espace de travail collaboratif dédié aux activités d’exploration est né : le Fab Lab. Le Fabrication-Laboratory – communément abrégé en Fab Lab – est un atelier dédié à l’innovation et au prototypage rapide. Il s’agit d’un espace de liberté d’aller et de venir, d’échange et de légèreté. L’objet Fab Lab a été développé au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT) par le professeur Neil Gershenfeld dans les années 2000. Il s’agit d’un lieu ouvert à tous, équipé de machines et d’outils allant de simples, comme un fer à souder, à très sophistiqués, comme une imprimante 3D ou une découpeuse laser. Les activités de créativité et de prototypage y prennent forme à travers les interactions d’une communauté active composée d’individus aux compétences diverses. Cette activité se déroule en l’absence de hiérarchie ou d’ordre donné. À l’origine, les Fab Labs sont – en tant que lieux ouverts – des structures libres et indépendantes situées dans des lieux associatifs, d’enseignements ou autres lieux publics et accessibles à tous. Jusque-là, ce type de structure n’existait que sous cette forme. Or, aujourd’hui, de grandes entreprises s’intéressent à ce concept et souhaiteraient l’exploiter au sein de leur structure afin de stimuler l’innovation. Le Fab Lab d’entreprise, en ouvrant les activités exploratoires aux membres des unités d’exploitation, soulève ce défi intéressant : celui de la conciliation entre activités d’exploitation et activités d’exploration au niveau des salariés. Le constructeur automobile français Renault avec qui nous avons travaillé au sein de la Direction de l’innovation a été un pionnier de cette démarche dès 2011.
Le Fab Lab d’entreprise, une opportunité d’explorer pour les salariés
Le Groupe Renault détient un Fab Lab interne qui est un support de la phase amont du processus d’innovation qui est transverse à l’ensemble de l’organisation matricielle de Renault. Ce processus est défini comme le processus régulant l’ensemble des « projets véhicules » à l’aide de jalons précis et d’une distinction formelle dans la distribution des fonctions. Cependant, les membres des unités de ce processus dédiées aux activités d’exploitation déplorent le faible niveau d’accès aux activités d’exploration. Le Fab Lab a alors été développé au sein de Renault dans l’objectif d’apporter de nouvelles opportunités de mener des activités d’exploration à ces salariés, en parallèle de leurs activités habituelles. À travers son lieu, sa charte, son animation et ses machines et outils à commande numérique, le Fab Lab d’entreprise se veut donc être un espace à la fois codifié et à la fois inclusif et permissif. Il a été conçu pour être directement accessible aux salariés, afin qu’individuellement, ils puissent mener des activités d’exploration concomitamment à leurs activités d’exploitation, c’est à dire développer leur ambidextrie individuelle.
Les pratiques favorisant l’ambidextrie des salariés au sein du Fab Lab d’entreprise
Nous avons pu mettre en avant quatre pratiques principales caractérisant ce dispositif et expliquant l’émergence d’une telle dynamique : l’improvisation, la conception innovante, le bricolage et le prototypage rapide.
Nos résultats montrent que le Fab Lab d’entreprise constitue un espace favorable aux activités d’exploration qui accompagne les salariés souhaitant mener des projets innovants en parallèle de leurs activités habituelles d’exploitation. Incarné par un lieu physique favorisant les interactions sociales, il est ouvert à tous et à tous les types d’activités donnant l’opportunité aux salariés de s’organiser li-brement entre leurs activités habituelles d’exploitation et leurs projets d’exploration. A travers cette structure, les salariés bénéficient d’un accompagnement dans leurs activités d’exploration incarnées par les pratiques que nous avons mises en avant – bricolage, improvisation, prototypage et conception innovante. Le Fab Lab constitue alors un support complémentaire à l’activité ordinaire en répondant au manque d’activités d’exploration des salariés. Il constitue ainsi une structure permettant le déve-loppement de l’ambidextrie des salariés.
Conclusion Le Fab Lab interne constitue une opportunité pour les entreprises de s’appuyer sur la révolu-tion numérique afin de faire face et de s’adapter à l’environnement transformant continuellement les marchés et les pratiques d’innovation. Nous l’avons vu, en offrant l’opportunité aux salariés des uni-tés d’exploitation de mener des activités d’exploration, le Fab Lab interne a le rôle d’un outil favo-rable et d’un support à l’émergence de l’ambidextrie des salariés. Il s’incarne dans un lieu d’accueil des activités exploratoires et offre l’opportunité à chaque salarié de gérer soi-même ses activités entre exploitation et exploration, et ainsi de devenir ambidextre.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Le tableau 1 qui suit résume notre méthodologie de collecte et d’analyse de notre recherche. Synthèse du cadre méthodologique de la recherche
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[su_pullquote align=”right”]Par Yuliya SNIHUR [/su_pullquote] Pour imposer un business-model innovant, les start-ups disruptives mettent en œuvre une stratégie s’appuyant sur deux processus complémentaires : une construction du discours engageant les clients et partenaires dans le nouvel écosystème, ce qu’on appelle le cadrage, et une adaptation continue de leur business model pour répondre au mieux aux besoins des clients. Illustration avec le cas de Salesforce versus Siebel dans l’industrie des logiciels pour les entreprises au début des années 2000.
Les cas d’innovations de rupture réussies, où une start-up parvient à transformer radicalement le fonctionnement d’une industrie, restent exceptionnels. Parmi les plus célèbres, on peut citer Amazon avec la distribution de la vente des livres ou Netflix qui a révolutionné l’industrie de distribution des films aux Etats-Unis. Ils se traduisent par la création d’un nouveau business-model qui déplace le centre de gravité de l’écosystème industriel du leader historique vers la start-up et qui finit par créer un nouvel écosystème autour de la start-up. L’innovation de business-model se caractérise par l’introduction de nouvelles sources de création de valeur, l’arrivée de nouveaux clients et partenaires et la mise en place d’une nouvelle organisation, qui concurrencent le business model du leader historique et au fur et à mesure se substituent à lui.
Dévoiler ses intentions d’emblée Jusqu’à présent, les études sur l’innovation disruptive se sont plutôt intéressées à la réaction des entreprises existantes, et beaucoup moins à la manière dont la start-up parvient à imposer son business-model. D’où l’intérêt de comprendre le processus mis en œuvre par le disrupteur, qui au départ dispose de peu de moyens, pour attirer de son côté les clients, les partenaires, les médias et les analystes, et finalement prendre l’avantage sur un concurrent installé et beaucoup plus puissant, jusqu’à dans certains cas le faire disparaître.
C’est ce processus que nous appelons la stratégie du disrupteur, dont l’objectif est de réduire l’incertitude pour engager les consommateurs et les partenaires comme acteurs de la création du nouvel écosystème : dès le départ, afin d’obtenir leur attention et leur soutien, la start-up dévoile ses intentions et ses ambitions par un cadrage, c’est-à-dire une construction efficace de son discours et de sa manière de se présenter ; parallèlement, elle doit adapter son business-model et son produit pour parvenir à la meilleure offre possible pour ses clients et partenaires. La combinaison de ces deux actions crée un cercle vertueux et met le leader historique face à un dilemme : riposter, au risque de légitimer le nouveau business-model, ou ne rien faire, au risque de se laisser dépasser.
Salesforce et l’émergence du cloud L’étude de l’émergence de Salesforce entre 1999 et 2006 face au leader Siebel dans le secteur des logiciels de management de la relation client (CRM) illustre ce concept de stratégie du disrupteur. A l’origine, les éditeurs informatiques (Siebel, SAP) vendaient à leurs clients des logiciels CRM et du matériel coûteux, associés à des prestations de maintenance et de consulting. L’innovation de Salesforce consistait à proposer un nouveau business-model beaucoup moins cher, basé sur le cloud computing, avec des services SaaS accessibles par abonnement. Dans un premier temps, cette offre était destinée à des consommateurs ne faisant pas partie de l’écosystème Siebel. Avant même son lancement, Salesforce s’adresse à l’écosystème en adoptant un discours mettant en avant successivement sa spécificité avec la révolution du « no software », puis son leadership, via des communiqués de presse, des interviews et des actions spectaculaires. Ce cadrage trouve un écho auprès de start-up et de PME qui n’avaient pas les moyens d’investir dans un système trop lourd, auprès de partenaires intéressés par le nouvel écosystème, et auprès des médias et des analystes qui relaient et amplifient le discours de Salesforce et adoptent une position plus critique vis-à-vis de Siebel. Dans le même temps, alors que de nouveaux consommateurs commencent à se porter sur son offre, Salesforce l’améliore continuellement pour arriver aux standards de ce qu’attendent la majorité des consommateurs existants. En combinant ces deux processus de cadrage et d’adaptation du business-model, la start-up commence à séduire en 2 ou 3 ans les clients et partenaires de Siebel.
Face à l’offensive de Salesforce, Siebel ne réagit pas dans un premier temps. L’entreprise reste sur son modèle ancien sans tenir compte des nouveaux besoins créés par l’offre d’un concurrent qu’elle ne perçoit pas encore comme tel, et ne se lance dans le cloud qu’en 2003, avec plus de 3 ans de retard. Un cercle vicieux symétrique au cercle vertueux de Salesforce se met alors en place : réponses inadaptées, critiques de plus en plus nombreuses des médias et des analystes, départ massif des clients et partenaires vers le nouvel écosystème. Au final, en 2006, Salesforce est devenu le leader des fournisseurs de services CRM, tandis que Siebel est racheté par Oracle.
Une situation difficile à anticiper Le cas Salesforce-Siebel est exemplaire de l’installation d’un nouveau business-model. Il met en relief l’importance de ces deux processus complémentaires que sont le cadrage et l’adaptation dans la stratégie du disrupteur. Il s’agit bien sûr d’un cas particulier, mais qui partage des éléments en commun avec d’autres cas de disruption réussies comme ceux d’Amazon ou de Netflix. Il y a pour les entreprises un certain nombre d’enseignements à tirer de ces résultats. Du côté des disrupteurs, l’importance d’agir en même temps sur ces deux leviers, en sachant que la fenêtre temporelle est limitée. Cela signifie qu’ils doivent trouver une manière de se dévoiler clairement, mais sans être trop précis pour ne pas avoir à contraindre son adaptation. Dans son cadrage, Salesforce se présentait comme le leader en affirmant qu’elle offrait la meilleure proposition de valeur et que son service était moins cher, mais sans jamais détailler les points clés du nouveau business-model.
Du côté du leader, il est difficile de savoir comment réagir. Siebel avait des raisons logiques de ne pas répondre à Salesforce sur un marché qui au départ ne l’intéressait pas, il est très compliqué de prédire si une start-up sera disruptive avec succès ou non. La problématique est que Salesforce a gagné un avantage compétitif en apprenant plus vite que Siebel. Siebel ne s’est pas posé les bonnes questions pendant plusieures années, et les besoins des start-up clientes de Salesforce étaient en avance par rapport aux besoins de ses propres clients. Quand l’entreprise a réagi, son cloud n’était pas aussi performant que celui de Salesforce, malgré un budget R&D et des moyens humains beaucoup plus importants. Pour éviter cela, les entreprises existantes doivent donc développer une vision stratégique, une compréhension de ce qui se passe dans leur environnement pour essayer d’apprendre plus vite que les start-ups et être à l’écoute du marché de demain. Mais il est très difficile pour une entreprise de se dire que ses clients auront besoin dans dix ans de prestations complètement différentes de celles qu’elle leur propose aujourd’hui.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Cet article est une synthèse de la publication « An Ecosystem-Level Process Model of Business Model Disruption: The Disruptor’s Gambit », parue dans le Journal of Management Studies. Il présente les résultats d’une étude longitudinale réalisée par Yuliya Snihur (Toulouse Business School), Llewellyn D.W. Thomas (Imperial College London, Universitat Ramon Llull) et Robert A. Burgelman (Stanford School of Graduate Business), à partir du cas exemplaire de Salesforce et Siebel, combinant approche théorique et analyse d’une base documentaire des données historiques. [/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Michaël Laviolette[/su_pullquote]
Les exemples d’entrepreneurs et leurs récits de réussite foisonnent quotidiennement dans les médias. Ils nous sont souvent présentés comme des personnages héroïques dont les prouesses conduisent à une issue souvent favorable et plus rarement défavorable.
Ces entrepreneurs sont ainsi exposés tels des modèles exerçant des rôles exemplaires selon le concept développé par Albert Bandura, psychosociologue et théoricien de l’apprentissage social.
En entrepreneuriat, l’impact des modèles de rôle est important car l’exemplarité joue sur le potentiel et l’intention d’entreprendre. Nombreux sont ceux ou celles qui expliquent leur décision d’entreprendre par l’observation ou l’influence d’une personne modèle. Il s’agit généralement d’un proche (ami, parent, etc.). Ce sont des modèles de rôles réels. Mais qu’en est-il des modèles symboliques ? C’est-à-dire des personnes que nous ne côtoyons pas mais auxquelles on peut s’identifier lors de leurs témoignages
Pour les étudiants, il peut s’agir du témoignage de Mark Zuckerberg, un ancien de Harvard, témoignant dans la presse, ou d’un ancien étudiant d’une grande école désormais entrepreneur communiquant en conférence. Comment ces modèles symboliques influencent-ils l’intention d’entreprendre de nos étudiants selon que leurs récits sont des réussites ou des échecs ? Quels impacts ont-ils selon certaines caractéristiques des personnes exposées (sexe, expérience, etc.) ?
Nous traitons ces questions dans le contexte éducatif car les enseignants utilisent beaucoup ces modèles de rôles sous la forme de témoignages, de citations ou de mini-cas. Alors que l’enseignement de l’entrepreneuriat devient expérientiel, ces modèles sont utilisés comme des prescriptions indiquant un chemin à suivre ou ne pas suivre pour entreprendre. Ces tactiques persuasives des professeurs sont-elles efficaces ? Qu’en est-il de leur impact sur l’auto-efficacité des étudiants et leur intention d’entreprendre ? Autrement dit, intéressons-nous à ceux qui regardent le modèle plutôt que le modèle en soi.
Plusieurs expérimentations ont été menées auprès de 276 étudiants en grande école de commerce. Certains étudiants ont été tantôt exposés à des témoignages de réussite ou d’échecs d’anciens étudiants ayant entrepris. Par ailleurs, d’autres groupes ont reçu à la fois ces témoignages avec un autre message d’encouragement des enseignants. En accord avec la littérature, nous avons testé plusieurs hypothèses principales et secondaires de cette chaîne causale allant de l’attitude des étudiants à l’égard du message des modèles de rôle à leur intention d’entreprendre.
Nos résultats ont été publiés dans 3 articles au Journal of Entrepreneurial Behaviour and Research, à la Revue Internationale PME et au Journal of Enterprising Culture.
Le premier article révèle que les modèles symboliques d’entrepreneurs qu’ils soient de réussite ou d’échec impactent significativement l’intention d’entreprendre des étudiants. Plus les étudiants ont une attitude favorable à l’égard du message, plus ils sont affectés ou émus par ces discours. Cet « éveil émotionnel » renforce la perception qu’ils ont de leur capacité à entreprendre (« auto-efficacité entrepreneuriale ») et ultimement leur intention d’entreprendre. Nous validons donc l’hypothèse centrale de l’impact de ces modèles symboliques. Dans le cas des messages positifs, ils augmentent l’intention d’entreprendre alors que les messages négatifs l’atténuent.
Cependant ces effets sont différents selon le sexe du récepteur. Les hommes sont davantage influencés par les modèles de réussite que les femmes. Alors que ces dernières sont plus influencées par les modèles négatifs. Cette différence s’explique par les normes sociales exemplifiant l’entrepreneuriat comme une activité éminemment masculine. De fait, les hommes s’identifient plus facilement à un modèle de réussite. Cette comparaison ascendante et valorisante est plus aisée pour eux. Quant aux femmes, elles s’identifient plus difficilement aux femmes entrepreneurs et elles sont plus affectées par un témoignage d’échec. La comparaison descendante et dévalorisante est malheureusement plus facile.
L’observation de différences selon le sexe des récepteurs nous conduit à envisager deux tactiques de communication persuasive en classe. Face à des étudiants, il est important d’exposer tant les modèles de réussite que ceux d’échec afin de ne pas trop idéaliser l’entrepreneuriat. Face à des étudiantes, il faut privilégier les modèles positifs au détriment des modèles négatifs. Par souci de réalisme, ces derniers ne sont pas à proscrire mais l’enseignant devrait jouer un rôle modérateur pour éviter que ces modèles d’échec ne soient trop décourageants.
Le deuxième article s’intéresse plus particulièrement au rôle d’encouragement des enseignants lors de la réception de ces témoignages de réussites ou d’échec par les étudiants. En plus du message des entrepreneurs, nous avons exposé nos étudiants à un deuxième message d’encouragement du professeur reformulant les discours afin d’en renforcer les effets.
Nous pensions que cette tactique persuasive augmenterait l’impact du message initial s’il était positif ou qu’il atténuerait son impact s’il était négatif. Cependant, les résultats démontrent que l’encouragement décourage plutôt que d’encourager alors que son contenu est identique selon que ce soit des récepteurs hommes ou femmes. Une analyse plus fine des résultats montre néanmoins des différences intéressantes selon le sexe du l’étudiant recevant le message.
Bien qu’on ne puisse pas négliger un effet de distraction avec ce deuxième message, la principale explication est à trouver dans la théorie de la réactance de Brehm. Lorsqu’un étudiant est exposé au message d’un individu auquel il s’identifie (un ancien), il est libre de lui attribuer la valeur qu’il souhaite. En revanche, lorsqu’un professeur intervient dans cette relation pour le persuader davantage, il réduit sa liberté d’interprétation. De fait, les étudiants peuvent rétablir leur autonomie en s’opposant à ses propos.
Toutefois, la réactance est plus forte chez les hommes que chez les femmes. Cette différence s’explique aussi par les normes sociales érigeant l’entrepreneuriat en une activité foncièrement masculine. Encouragés par ces normes, les hommes peuvent exprimer une opinion contraire à celle du professeur pour exprimer leur libre arbitre même si au fond ils pensent la même chose. Quant aux femmes, l’encouragement du professeur est recherché pour les conforter dans leur opinion et obtenir un assentiment social. De fait, notre recherche démontre que l’encouragement des professeurs est plus bénéfique dans le cas de l’exposition des étudiantes à des modèles de rôles féminins.
Nos articles démontrent également que pour comprendre l’impact des modèles de rôle, les caractéristiques des récepteurs (sexe en l’occurrence) sont importantes. Ainsi, notre troisième article s’intéresse aux effets modérateurs des caractéristiques des récepteurs que sont l’estime de soi, le lieu de contrôle et l’expérience antérieure. L’estime de soi renvoi à l’image positive ou négative que l’on a de soi. Le lieu de contrôle est notre sentiment que les évènements relèvent plutôt de notre contrôle ou pas. L’expérience antérieure est l’expérience passée qu’ont les étudiants en entrepreneuriat.
Nos résultats démontrent que plus l’estime de soi, le lieu de contrôle interne et l’expérience antérieure sont élevés, moins le récepteur est impacté par le message. En effet les étudiants ayant une forte estime de soi et une croyance en leur capacité à maîtriser ce qui leur arrive, sont naturellement moins influencés par les modèles externes. Autrement dit, ils s’appuient davantage sur leurs propres ressources pour croire en leur capacité à entreprendre et finalement décider de créer.
A l’inverse les étudiants ayant une faible estime d’eux-mêmes, un faible lieu de contrôle interne et une faible expérience sont plus influencés par les modèles externes. De fait, ce ces étudiants ont davantage besoin d’aller chercher une validation externe pour compenser la faiblesse de leur croyance en leur capacité propre à entreprendre. Ces résultats complètent nos analyses en montrant qu’il est aussi important d’analyser le profil des récepteurs afin de mieux comprendre l’impact des messages.
Que conclure de nos études sur la relation entre modèles de rôle et intention d’entreprendre dans le contexte éducatif ? Tout d’abord, elles valident l’importance de ces modèles sur la capacité et l’intention d’entreprendre des étudiants même s’ils ne sont que symboliques. Elles soulignent aussi que la variété des modèles, à la fois d’échec et de réussite, est cruciale pour donner des représentations plus crédibles auprès du public d’étudiants. Cependant, ces modèles de rôle n’impactent pas de la même manière les hommes et les femmes.
Compte tenu de la prédominance des modèles masculins en entrepreneuriat, il est important de tempérer l’impact de ces modèles par des tactiques d’encouragement par le professeur en particulier pour les étudiantes. Néanmoins, il est à noter que cet encouragement n’est pas efficace sur les hommes souvent plus confiants en leur propre capacité à entreprendre. Enfin, globalement, ces modèles ont un impact plus fort auprès d’étudiants doutant de leur capacité à entreprendre de par leur faible estime de soi, faible lieu de contrôle interne et faible expérience.
En définitive, cette recherche confirme qu’un modèle unique de réussite entrepreneurial n’est pas le plus efficace pour tous les publics. Il faut une pluralité des modèles pour persuader une audience diversifiée. La beauté est dans l’œil de celui qui regarde comme nous l’avait rappelé Oscar Wilde. Regardons à la fois le modèle mais surtout celle ou celui qui le regarde.
[su_spoiler title=”Méthode”]Cet article synthétise nos travaux sur l’influence des modèles de rôle sur l’intention d’entreprendre des étudiants. Ils ont été co-réalisés avec Olivier Brunel, Maître de Conférences et HDR en Marketing à L’IAE de Lyon – Ecole Universitaire de Management et Miruna Radu-Lefebvre, Professeur et HDR en Entrepreneuriat et titulaire de la chaire Entreprise Familiale et Société à Audencia Business School, Nantes.[/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Victor DOS SANTOS et Najoua TAHRI[/su_pullquote] La promotion de l’innovation comme moteur clé de la croissance économique n’est pas un concept nouveau. Mais, la France, avec le reste de l’Europe, continue de faire face à des défis importants pour stimuler l’innovation dans son économie et maintenir son avantage concurrentiel.
Dans une étude sur les facteurs décourageant l’innovation dans les entreprises françaises, nous constatons que les obstacles les plus importants sont d’ordre financier ou liés au marché, et non technologiques. Les contraintes financières, le manque de personnel qualifié et la perception de l’inutilité de l’innovation sont quelques-uns des principaux facteurs à l’origine de ce retard en matière d’innovation. De façon surprenante, très peu d’entreprises ont mentionné des obstacles technologiques, et le même constat a été fait dans d’autres parties du monde.
La bonne combinaison de compétences
En y regardant de plus près, nous constatons que bon nombre des obstacles peuvent être attribués à une pénurie de managers possédant les compétences pertinentes. Diverses études sur l’innovation soulignent que la réussite en matière d’innovation implique de combiner de manière efficace des compétences de nature différente, tant techniques que commerciales. Mais les managers présentant les deux types de compétences sont rares, surtout en France. Et l’absence de managers polyvalents peut donner lieu à des approches divergentes entre les responsables techniques soucieux des performances technologiques et les responsables commerciaux focalisés sur les évolutions du marché. Cela peut entraîner une mauvaise communication et un échec de la coopération, et entraver le processus d’innovation.
À cela s’ajoute la culture prédominante de l’innovation fondée sur une stratégie technology push en France, autrement dit, les processus d’innovation sont pilotés par la R&D dans les nouvelles technologies mais sont pénalisés par une mauvaise compréhension du marché. Cela tend non seulement à renforcer les obstacles à l’innovation au niveau du marché mais également à générer des contraintes financières. Au final, des ressources considérables doivent être injectées, prolongeant la phase R&D et favorisant la confusion entre invention, innovation et innovation réussie, comme l’illustre parfaitement l’exemple du Concorde. À ce jour la question de savoir si l’avion de ligne supersonique a été une innovation réussie, fait toujours débat. Pour certains, les avancées technologiques liées à cet appareil sont telles qu’elles éclipsent la vente de seulement 14 appareils à deux clients. En bref, les entreprises sont peu enclines à innover parce que l’innovation, selon leur point de vue, exige des ressources considérables pour couvrir les coûts excessifs de l’invention.
Impact des soutiens publics
En Europe et notamment en France, les institutions publiques sont obsédées par le progrès technologique, laissant peu de place aux compétences commerciales dans le processus d’innovation. Les inventions et les technologies discontinues sont privilégiées, mais s’avèrent souvent en décalage avec la dynamique du marché et très coûteuses. Trop souvent, les programmes de financement public, par exemple dans le secteur aérospatial, poussent les entreprises à réaliser des projets qui ne sont pas toujours économiquement viables. Ainsi, celles-ci ont tendance à orienter leur stratégie en fonction des objectifs technologiques, au détriment des objectifs du marché, déterminants pour anticiper le retour sur investissement.
Facteurs contextuels
L’examen des obstacles ventilés par secteur d’activité révèle que l’industrie aérospatiale fait face aux obstacles les plus importants, suivie de l’industrie manufacturière et des services. On pouvait s’y attendre car les entreprises aérospatiales sont plus susceptibles d’innover, de faire face à des coûts de production élevés et de dépendre fortement de l’investissement public. À l’opposé, les entreprises du secteur des services sont celles qui rencontrent le moins d’obstacles. Le développement de produits innovants est rare dans le secteur des services, caractérisé par la réalisation de produits intangibles, qui sont par ailleurs facilement imitables par les entreprises concurrentes, ce qui pose un sérieux problème pour convaincre les investisseurs de financer de nouvelles entreprises. Les entreprises axées sur les services ont donc tendance à adopter une stratégie orientée demande (market pull) qui met l’accent sur les innovations continues, en améliorant ou modernisant légèrement l’offre de services, moyennant des coûts relativement moins élevés. Il n’est donc pas étonnant que les entreprises de ce secteur soient les moins affectées par les obstacles à l’innovation.
Surmonter les obstacles à l’innovation
Pour commencer, les entreprises devraient tenir compte des études de marché dans leurs processus d’innovation. C’est plus facile à dire qu’à faire, car les managers techniques doivent parfois s’affranchir de certains réflexes – du type « si vous ne savez pas comment fabriquer un produit, vous ne saurez pas comment le vendre ». Ils doivent reconnaître l’importance d’intégrer la perspective du marché dans le processus d’innovation. Afin de remédier à la pénurie de managers avec des compétences à la fois techniques et commerciales, les entreprises pourraient proposer une formation en cours d’emploi axée sur les compétences déficientes (par ex. en offrant la possibilité aux managers techniques de préparer un diplôme en gestion des affaires). De surcroît, pour s’attaquer aux causes profondes du problème, les établissements d’enseignement supérieur délivrant des diplômes scientifiques devraient intégrer un solide volet de sciences sociales dans leurs programmes. Cela permettrait d’introduire une dimension commerciale dans le processus d’innovation, mais aussi de contribuer à résoudre les problèmes de communication entre les équipes techniques et commerciales et d’ajouter de la légitimité aux analyses marketing.
Toutefois, cela ne doit pas dispenser les managers commerciaux de s’impliquer directement dans le processus d’innovation. Idéalement, les entreprises devraient aller encore plus loin et mettre en place une unité de veille commerciale chargée de fournir des informations sur l’évolution du marché et de travailler côte à côte et de manière complémentaire avec l’équipe de veille technologique . Le poids accordé aux compétences commerciales dans le processus d’innovation varie généralement en fonction des caractéristiques du secteur d’activité.
Un changement fondamental devra également venir des institutions publiques qui doivent réorienter leur financement pour soutenir les innovations réussies plutôt que la réalisation d’inventions, et permettre aux entreprises de se concentrer sur les innovations continues, ce qui est naturel pour la plupart d’entre elles. En accordant la priorité aux processus d’innovation descendants, tels que la commercialisation de l’innovation, les entreprises seront confrontées à moins d’obstacles liés au marché et verront une baisse des coûts d’innovation. À cette fin, les institutions publiques doivent laisser plus de place aux entreprises dans la définition des orientations stratégiques des politiques de soutien public. L’innovation est un outil puissant qui permet aux entreprises d’assurer leur pérennité à long terme. Sans innovation, il est extrêmement difficile de s’adapter à un environnement en mutation. Le taux d’échec des nouveaux produits est certes élevé, mais il est impossible d’innover sans échec. En résumé, une innovation réussie exige non seulement un changement de l’état d’esprit et de la culture des entreprises en matière d’innovation, mais aussi des changements dans le cadre institutionnel public afin qu’il devienne plus favorable à l’innovation continue. Les entreprises, les organismes gouvernementaux et les établissements d’enseignement supérieur ont tous un rôle à jouer pour surmonter les obstacles à l’innovation et créer un environnement propice à l’innovation.
Cet article est inspiré de l’étude intitulée « Les obstacles à l’innovation en France : analyse et recommandations », corédigée par Victor Dos Santos Paulino et Najoua Tahri, et publiée dans la revue Management & Avenir, 2014/3, no. 69, p. 70 – 88, consultable ici
[su_spoiler title=”Méthodologie”]L’étude, réalisée en 2014, est basée sur les résultats de la Quatrième enquête communautaire sur l’innovation (ECI 4) menée en France entre 2002 et 2004 et publiée par Eurostat. Il a été demandé aux 175 533 entreprises qui ont participé à l’enquête en France, si elles avaient rencontré l’un des 11 obstacles à l’innovation étudiés. Pour les besoins de notre étude, nous avons regroupé les obstacles en quatre catégories : obstacles de connaissance, obstacles de marché, obstacles financiers et obstacles externes et nous avons analysé les obstacles en fonction de la nature de l’entreprise et par secteur d’activité (secteur manufacturier, services et industrie aérospatiale, ce dernier représentant un secteur clé en France). [/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Sveinn Gudmundsson[/su_pullquote] Compte tenu de la croissance exponentielle du transport aérien, les principaux aéroports pivots – les hubs – en Europe sont proches du point de saturation, quand ils ne l’ont pas déjà dépassé, et perdent du trafic au profit de la concurrence. L’analyse des transferts d’activité excédentaire dus à la congestion des aéroports d’Heathrow et de Francfort montre le rôle important des réseaux de compagnies aériennes. Les autorités publiques devraient en tenir compte lors des décisions sur l’évolution de la capacité aéroportuaire, comme la création de nouveaux aéroports, pistes ou terminaux.
Alors que les prévisions annoncent la forte croissance à venir du trafic aérien, de nombreuses questions se posent quant aux aéroports pivots, notamment en Europe plus que dans toute autre partie du monde. Les prévisions indiquent une augmentation annuelle du nombre de passagers de 5,5% sur une période de 20 ans : en 2013, cela se traduisait par 170 millions de passagers en plus dans l’ensemble du système aéroportuaire et sur ces bases, la croissance annuelle s’élèvera à 330 millions de passagers supplémentaires en 2025. En raison des pressions pesant sur le développement des infrastructures, cette croissance rapide s’accompagne de controverses autour de l’expansion des aéroports. L’exemple de l’aéroport de Londres-Heathrow, qui a déjà atteint son point de saturation, est tout à fait significatif à cet égard, avec des débats incessants sur son agrandissement, qui sont source d’incertitudes pour les compagnies aériennes qui l’utilisent comme hub de transit, et pour les aéroports qui bénéficient des retombées de sa saturation. Malgré la récente décision d’ajouter une troisième piste et un sixième terminal à Heathrow, il faudra attendre au moins une décennie avant la mise en service de ces capacités supplémentaires et les inquiétudes concernant les effets de cette expansion sur l’environnement et la santé risquent fort de s’intensifier entretemps.
Nécessité de trouver des compromis
Aujourd’hui, les compagnies aériennes assurent les liaisons long-courriers en ayant de moins en moins recours aux vols court-courriers qui ne sont pas soutenables pour un hub saturé, en particulier dans la mesure où la réduction de la disponibilité des créneaux de décollage et d’atterrissage influence la valeur monétaire des créneaux existants. Afin de maximiser le rapport coût-efficacité des créneaux intéressants, les compagnies ont tendance à remplacer les vols les moins rentables par des vols long-courriers utilisant des avions de plus grande capacité et dans le même temps le nombre moyen de passagers par vol est en hausse (impliquant l’augmentation de la taille moyenne des appareils utilisés et des facteurs de charge). Les avionneurs tels qu’Airbus sont directement concernés par les décisions d’expansion des capacités aéroportuaires des hubs congestionnés car elles se répercutent sur les incitations financières à exploiter de plus gros avions tels que l’A380 dans ces aéroports. Face aux contraintes découlant des capacités saturées des hubs, les compagnies n’ont guère d’alternative de croissance, si ce n’est augmenter la taille moyenne de leurs appareils. Aujourd’hui Heathrow et Francfort sont respectivement les deuxième et troisième principaux aéroports pivots en termes de vols d’A380, derrière l’aéroport de Dubaï (Emirates Arlines est le principal exploitant de l’A380 au monde).
Mais, dans le même temps, l’impossibilité de rajouter des liaisons et d’accroitre les fréquences de vol dans les aéroports congestionnés entraîne le risque de fragmenter les réseaux de compagnies aériennes et d’intensifier la concurrence pour récupérer le trop-plein. Face à cette situation, les compagnies ont le choix entre plusieurs stratégies : elles peuvent augmenter leurs prix pour refléter la forte hausse de la demande, déployer des avions de plus grande capacité pour acheminer un plus grand volume de passagers ou transférer une partie de leurs activités vers d’autres aéroports, ou bien encore permettre à des compagnies partenaires et concurrentes de récupérer l’activité en surplus découlant de l’incapacité de leurs hubs, congestionnés, à répondre à la croissance du trafic.
Dans le cas d’Heathrow, un chiffre clé illustre l’effet négatif de la congestion sur les liaisons court-courriers à l’intérieur de l’UE : en 2010, Heathrow n’avait que 46 liaisons court-courriers, contre 78 à Paris CDG, 67 à Amsterdam et 74 à Francfort. Cette évolution tend non seulement à réduire la desserte dans l’UE et le reste du monde des aéroports d’Heathrow et de Francfort, mais également à renforcer les réseaux de compagnies à bas coûts qui proposent des offres croissantes de « self-connecting » dans l’UE.
Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés aux conséquences de cette évolution sur le trafic passagers et le trafic de correspondances, en analysant les effets des retombées de la congestion d’Heathrow et de Francfort, plus particulièrement sur le Royaume-Uni, l’Europe et les États du Golfe. L’objectif est de comprendre comment les compagnies adaptent leur stratégie de réseau en fonction de ces changements, d’évaluer l’impact négatif de la limitation de la croissance des liaisons et fréquences de vols due à la congestion des hubs saturés, et les effets positifs pour les aéroports alternatifs, et également de déterminer les effets néfastes sur les autres aéroports lorsqu’un grand aéroport pivot voit ses capacités renforcées. Les contraintes de croissance des capacités influencent la stratégie de flotte des compagnies (taille moyenne de leurs appareils), leur stratégie de réseau (fragmentation du réseau pour maintenir la croissance), leur stratégie en matière de concurrence (retombées de la congestion aéroportuaire en raison de la demande non satisfaite de nouveaux vols et de nouvelles liaisons) et leur stratégie en matière d’alliance et de fusion (pour sécuriser l’accès à de nouveaux hubs et aéroports en vue de renforcer les flux de réseaux).
Les retombées liées à l’établissement d’alliances Nous avons été amenés à créer des modèles pour calculer en premier lieu le trop-plein en termes de trafic passagers transféré d’Heathrow vers d’autres aéroports britanniques, et ensuite le trop-plein en termes de trafic de correspondances transféré d’Heathrow et Francfort vers neuf aéroports alternatifs de l’UE et des pays du Golfe. S’agissant du trafic de correspondances, nous avons examiné l’impact sur les liaisons intercontinentales et intra-européennes, en prenant en compte le trafic total. Ensuite, nous avons utilisé les informations provenant de la base de données OAG afin de comparer ces modèles avec le trafic réel de janvier 1997 à décembre 2013 pour Heathrow, et jusqu’à décembre 2011 (date à laquelle les capacités ont été accrues) pour Francfort.
Pour Heathrow, les résultats montrent d’importants excédents de passagers intercontinentaux transférés vers Gatwick et, dans une moindre mesure, vers Manchester et Birmingham, ainsi qu’un excédent important de correspondances transféré vers Munich, Paris CDG, Madrid et Doha pour les liaisons intercontinentales, et vers Munich pour les liaisons européennes. Concrètement, cela signifie que les limites des capacités aéroportuaires profitent essentiellement aux grosses compagnies telles que Lufthansa et Star Alliance (Munich), et Air France et Skyteam (Paris CDG), et dans une moindre mesure, aux aéroports pivots dans les États du Golfe (Dubaï, Doha et Abu Dhabi).
L’analyse croisée d’Heathrow et de Francfort montre une certaine asymétrie au niveau des retombées par rapport au trafic de correspondances global : le trop-plein d’Heathrow a principalement profité à Munich, Paris, Madrid et Doha, tandis que celui de Francfort a profité à Munich, Amsterdam, Abu-Dhabi et Istanbul Ataturk, dont la principale compagnie, Turkish Airlines, est liée à Lufthansa via la Star Alliance.
Cette asymétrie est due à la capacité de réserve de ces aéroports alternatifs, mais également aux différentes alliances entre les compagnies aériennes et à la situation géographique des hubs ; par exemple, il importe peu à un passager en correspondance entre deux vols, de changer à Heathrow, Munich ou Istanbul : ce n’est pas la ville abritant le hub qui l’attire, mais plutôt le côté pratique de la correspondance. Les bénéficiaires de ces transferts d’activité excédentaire due à la congestion aéroportuaire varient en fonction du hub concerné, ce qui montre bien l’importance de la stratégie commerciale adoptée par les compagnies en réponse à la saturation des hubs. Cette dimension stratégique et la concurrence croissante entre les différentes alliances devraient être davantage prises en considération dans les débats sur l’expansion des aéroports qui sont généralement plus axés sur les avantages pour l’économie locale, que sur le réseau global (y compris les partenaires d’alliances et de fusions) ou les coûts sociaux au sens large.
Enfin, les décisions sont prises par des responsables politiques locaux alors qu’elles ont une portée déterminante sur l’ensemble du réseau et la composante sociale. Tandis qu’un nombre croissant de hubs, notamment en Europe, sont confrontés à l’insuffisance de leur capacité, les décideurs politiques devaient s’interroger sur la façon d’équilibrer la croissance des aéroports tout en tenant compte du « transfert naturel » de l’excédent au sein d’un pays et d’autres pays, vers les partenaires d’alliance, les compagnies concurrentes et les régions. Pourtant, comme nous l’avons souligné dans notre premier article « Spillover effects of the development constraints in London Heathrow Airport » publié en 2014, il n’est pas forcément plus simple, du point de vue de la stratégie de l’ensemble du réseau, de développer uniquement le principal aéroport pivot d’un pays. De telles décisions nuisent aux aéroports régionaux qui se renforcent en prenant en charge le trafic excédentaire et elles risquent également de sacrifier – au nom des avantages économiques – les hubs alternatifs éventuellement mieux placés du point de vue géographique pour minimiser les coûts sociaux (impact sur l’environnement et sur la santé au niveau local) de l’agrandissement d’un aéroport. Dans cette étude initiale, nous avions montré que le trafic en excès à Heathrow retombait pour l’essentiel sur l’aéroport de Gatwick qui, grâce à sa situation géographique et aux coûts sociaux potentiellement faibles, aurait été le meilleur candidat pour l’expansion des capacités aéroportuaire s’il avait été décidé pour Heathrow d’augmenter seulement la taille moyenne des appareils desservant les liaisons long-courriers. Le gouvernement britannique en a décidé autrement en donnant son feu vert officiel, le 25 octobre 2016, à la construction de la troisième piste et du sixième terminal ; la fin du chantier est prévue vers 2030, s’il n’y a pas de retards majeurs.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Les travaux sur les retombées de la congestion aéroportuaire en Europe ont été dirigés par Sveinn Vidar Gudmundsson (TBS) et Renato Redondi (université de Bergame). Le projet a nécessité le développement de deux modèles de retombées : un modèle simple (Heathrow) et un double (Heathrow et Francfort), utilisant la base de données OAG et une nouvelle approche d’estimation statistique appliquée à cette problématique, inspirée de la littérature financière concernant les flux sur les marchés obligataires. Les résultats de l’étude ont été publiés dans deux articles distincts : l’un dans le Journal of Transport Geography, en 2014, sous le titre : « Spillover Effects of the Development Constraints in London Heathrow Airport », examinant les retombées de la congestion de Londres-Heathrow sur les autres aéroports britanniques ; et le second article, paru dans Transportation Research Part A sous le titre : « Congestion spill effects of Heathrow and Frankfurt airports on connection traffic in European and Gulf hub airports », examinant les retombées de la congestion d’Heathrow et de Francfort en termes de trafic de correspondances, sur d’autres aéroports pivots en Europe et dans les pays du Golfe.
Ces articles peuvent être consultés via les liens suivants :
• Spillover effects of the development constraints in London Heathrow Airport
• Congestion Spill Effects of Heathrow and Frankfurt Airports on Connection Traffic in European and Gulf Hub Airports
Le professeur Gudmundsson a également participé à un débat sur ce sujet en 2014 avec Daniel Moylan, alors conseiller du maire de Londres sur les questions de transport aérien ; ce débat intitulé « London Airports: Meeting demand » a été organisé dans le cadre de la série de séminaires TSU « Transport Controversies », à l’université d’Oxford. Voir ci-dessous les liens vers l’évènement et le podcast :
• http://www.tsu.ox.ac.uk/events/ht14_seminars/ • http://www.tsu.ox.ac.uk/events/ht14_seminars/ht14-week3.mp3 [/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Pierre-André Buigues[/su_pullquote]
En dépit des aides publiques importantes dont bénéficie la filière viande française, celle-ci perd pieds face aux autres pays européens qui sont pourtant, eux aussi dans la zone euro. C’est, en effet le marché européen qui explique l’essentiel de la dégradation des positions françaises, et non la mondialisation, la Chine ou les pays émergents.
Quelle que soit la filière, volaille, porc ou bovin, l’élevage français est en difficulté par rapport à ses concurrents européens . – La filière porcine française : Sa production a sensiblement baissé, passant d’environ 25,5 millions de porcs par an en 2000 à 21 millions en 2016 alors qu’elle augmentait dans plusieurs autres pays européens. En 2000, les productions françaises et espagnoles étaient équivalentes, l’Espagne produit aujourd’hui 46 millions de porcs annuellement. La France est désormais importatrice nette de viande de porc. La compétitivité de la filière s’est érodée car elle souffre de coûts trop élevés et d’un manque d’investissements. – La filière bovine française : La France est le premier producteur européen de viande bovine, en 2015 : 1,49 millions de tonnes contre 1,12 en Allemagne et 0,9 au Royaume-Uni. 79% de la viande consommée en France est d’origine nationale. Les importations sont essentiellement européennes. Cependant, les revenus moyens des éleveurs spécialisés en viande bovine sont parmi les plus bas de l’agriculture et sont fortement orientés à la baisse. En 2014, le revenu courant après impôt serait inférieur de 22 % à la moyenne sur longue période (2000-2013). – La filière avicole française a également enregistré une baisse de sa production au cours de la dernière décennie. La France a été le deuxième exportateur mondial de volaille mais elle importe aujourd’hui 40% des volailles qu’elle consomme. Le pays est déficitaire en volume et en valeur avec les pays de l’Union européenne, et ce déficit continue de se creuser. Les importations françaises de viande de volailles proviennent surtout de pays européens et beaucoup moins des pays non européens comme le Brésil, ou les USA. Comment expliquer cette forte dégradation du commerce de la viande française ? Nous retiendrons ici deux des principales causes de ce déclin :
Le refus français d’une industrialisation de la filière viande, d’où des économies d’échelle insuffisantes La France a toujours soutenu l’agriculture familiale mais les marchés internationaux de la viande sont surtout des marchés de volume où le prix est le critère déterminant. Contrairement au marché domestique français où la qualité mesurée par des labels (label rouge, fermier) constitue un avantage compétitif, à l’international le prix est déterminant. Alors que l’Allemagne se positionne sur des produits bon marché et standardisés et a une image « industrielle » pour les produits carnés, la France a une image « gastronome » de produits chers. Malheureusement, à ce stade de développement du marché international de la viande dont la croissance est portée par les marchés émergents, il y a peu d’intérêt pour la qualité. Le coût est donc la variable stratégique du succès sur les marchés internationaux or la filière viande française souffre de coûts élevés et d’une absence d’économies d’échelle.
Dans la production de porc, la taille moyenne des élevages est en France comprise entre 1000 et 2000 porcs contre de plus grandes structures de 2000 à 5000 porcs au Danemark et aux Pays-Bas. De plus, entre 2000 et 2010, la taille moyenne d’un élevage de porc a augmenté de 98% au Danemark, 37% aux Pays-Bas, 29% en Espagne et seulement 16% en France. Enfin, les abattoirs allemands dépassent souvent 50 000 porcs abattus annuellement. En France, il faudrait beaucoup moins d’abattoirs et bien plus modernes.
Dans la viande bovine, la France souffre également d’un problème de taille des exploitations. Le procès fait en France à la seule ferme de mille vaches ( ferme ultramoderne avec une installation géante qui transforme la bouse en énergie grâce à un méthaniseur et est équipée de panneaux solaires), montre que l’opinion française est hostile à l’industrialisation de l’élevage. Il y aurait en Allemagne, plus de 200 unités qui dépassent le millier de têtes quand en France, les unités de plus de 350 têtes se comptent sur les doigts d’une main.
Dans la production de poulet, les exploitations françaises sont beaucoup plus nombreuses et de bien plus petite taille qu’en Allemagne : Les élevages allemands, néerlandais et britanniques sont les plus grands d’Europe et dépassent en moyenne 60 000 places. En France, plus de la moitié des élevages de poulet ont entre 1 000 et 10 000 places, du fait de l’importance des productions sous signes de qualité et d’origine (Label Rouge, biologique, AOC), dont les cahiers des charges limitent la taille des bâtiments.
Avec une taille d’exploitation qui ne permet pas d’économie d’échelle et avec des coûts de main d’œuvre supérieur à certains de ses concurrents européens, l’élevage français est en grande difficulté et perd des parts de marché.
Une avalanche de normes coûteuses et une surrèglementation par rapport aux normes européennes
La sévérité des normes constitue un facteur incontestable des difficultés économiques de la filière viande française. Souvent compliquées et quelquefois incompréhensibles, ces normes impliquent une charge administrative très lourde pour les exploitants. Un rapport du Sénat chiffre, en moyenne à 15 heures par semaine le travail de bureau de l’agriculteur. Deux raisons principales expliquent le coût relatif élevé de ces normes en France. En premier lieu, dans l’élevage français, les entreprises sont souvent, comme nous l’avons vu, de petite taille par rapport aux concurrents européens. Elles n’ont donc pas de moyens humains et financiers suffisants pour assimiler et mettre en œuvre ces normes. En second lieu, les normes changent souvent dans ce secteur, les normes environnementales sont de plus en plus exigeantes et nécessitent des investissements très lourds.
Quel avenir pour l’élevage français ?
L’Europe agricole n’est plus seulement un espace régulé par la Politique Agricole Commune mais un espace de concurrence. Pour le développement de l’élevage français, deux stratégies sont possibles : – Stratégie de développement d’un élevage orienté vers la qualité : Comment trouver des débouchés pour une production haut de gamme avec des labels forts à l’exportation qui permettent à de petites exploitations de survivre avec des coûts élevés ? Le modèle est celui des vins français qui ont des prix en moyenne deux fois supérieurs à ceux des concurrents et se vendent pourtant très bien. Ce scénario « haut de gamme » pourrait sauver l’élevage français. Cependant, cette stratégie suppose des investissements considérables dans le marketing et les réseaux de distribution à l’international. – Stratégie du développement d’un élevage intensif à coût bas : Comment baisser les coûts de production ? Par des restructurations lourdes, et la disparition des « petits élevages » non compétitifs. Des investissements massifs seraient alors également nécessaires pour un élevage ultra moderne, les pouvoirs publics favorisant les fermes de très grandes tailles, automatisées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Existe-t-il un scénario intermédiaire ? Xavier Beulin, l’ancien Président de la FNSEA donnait le chiffre de 6 milliards d’euros d’investissement nécessaire « pour développer une troisième voie entre l’agriculture industrielle et la diversité, l’agriculture plurielle et la high-tech, l’agriculture bio et la robotique ».
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Cette article s’appuie sur: Elie Cohen et Pierre-André Buigues « Le décrochage industriel », Fayard, 2014; et Pierre-André Buigues, « Refonder l’agriculture française » Journée de l’économie, Jeco , Lyon, Novembre 2016 [/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Yuliya Snihur[/su_pullquote]
Dans la construction de l’identité organisationnelle de leur entreprise, les créateurs de start-up innovantes doivent valoriser simultanément sa spécificité et son appartenance à une catégorie d’entreprises existantes. L’objectif est d’atteindre « la distinction optimale » qui consiste à trouver un juste équilibre entre une identité différenciée par rapport aux autres entreprises et une identité faisant partie d’une catégorie déjà bien reconnue. Cet équilibre est important pour permettre aux start-up d’acquérir réputation et légitimité.
Etre unique mais pas trop, telle est la question. Les premières années de la vie d’une entreprise sont cruciales pour la construction de son identité. Durant cette période, le créateur (ou la créatrice) fait des choix stratégiques qu’il (ou elle) doit mettre en place rapidement pour que le projet entrepreneurial survive et se développe mais dont les conséquences seront difficiles à modifier sur le long terme. L’objectif est de parvenir à valoriser la singularité de l’entreprise en rassurant ses clients et partenaires potentiels sur sa normalité : on appelle cet équilibre la « distinction optimale ». Pour cela, il faut trouver la bonne distance entre le fait d’être unique, qui contribue à la réputation de l’entreprise, et la nécessité d’être comme les autres, de faire partie d’un groupe ou d’une catégorie existante reconnue, qui apporte de la légitimité.
A la recherche de la distinction optimale Cet enjeu de la construction de l’identité s’impose à toute nouvelle entreprise, mais il s’impose avec encore plus d’intensité à celles qui innovent et qui introduisent de nouveaux business models, c’est-à-dire une manière d’exercer leur activité en rupture avec les pratiques existantes dans leur secteur. Ces dernières n’ont encore, par définition, ni histoire ni parcours et sont inconnues du grand public qui ne dispose d’aucune référence ni de point de comparaison sur lequel s’appuyer pour leur accorder sa confiance.
La question que pose notre étude est de savoir quels moyens mettent en œuvre ces entreprises innovantes au premier stade de leur développement pour acquérir une réputation et une légitimité auprès de leurs différents publics externes. Pour y répondre, nous avons analysé la manière dont quatre jeunes entreprises avaient construit leur identité, ces start-up ayant en commun d’avoir introduit un nouveau business model, mais appartenant à des secteurs d’activité différents : la santé, la restauration, le digital et l’hôtellerie. Les résultats permettent d’identifier quatre actions spécifiques que l’on retrouve dans tous les cas : il s’agit du story-telling, de l’utilisation d’analogies, de la recherche d’évaluations ou d’accréditations, et de l’établissement d’alliances ou de partenariats. A partir de ces résultats, nous proposons un modèle théorique qui établit un lien entre chaque action menée et ses conséquences sur l’identité de l’entreprise telle qu’elle est perçue par son public externe, chacune étant susceptible d’influencer à la fois la réputation et la légitimité de l’entreprise.
Affirmation de soi et reconnaissance extérieure Les deux premières actions incombent uniquement au créateur (créatrice) et agissent sur le mode de proclamation ou de revendication de l’entreprise dès le début de son activité. Le story-telling raconte la genèse de l’aventure et permet de lui donner du sens. S’il valorise l’expérience individuelle ou la personnalité du créateur (créatrice), il influera sur la réputation de l’entreprise ; s’il met plus en valeur un enjeu de société, comme le développement durable, il contribuera plutôt à asseoir sa légitimité. De leur côté, les analogies permettent d’expliquer l’apport de l’entreprise en la comparant à ce que font d’autres acteurs dans d’autres secteurs, proches ou éloignés, de l’activité de l’entreprise. Lorsque ces acteurs appartiennent au même secteur d’activité, on parle d’une analogie locale qui a pour objectif d’agir sur la légitimité de l’entreprise ; dans le cas où ils appartiennent à des secteurs différents, il s’agit d’une analogie plus distante qui aboutira à un renforcement de sa réputation.
Les deux autres types d’action impliquent plus largement l’ensemble des collaborateurs. Ces actions doivent être engagées dans un second temps car elles demandent un délai de mise en œuvre plus long et font appel à une reconnaissance plus objective des compétences de l’entreprise par d’autres sociétés ou organismes. L’évaluation par des tiers peut prendre de multiples formes qui vont des classements et palmarès à des démarches de certification ou d’accréditation. Dans le premier cas, l’évaluation devra accroître sa réputation, dans le second cas elle agit sur sa légitimité. Enfin, l’établissement de partenariats permet, par des actions ponctuelles, de nouer des relations avec un tiers dans le but de bénéficier d’une association d’image, ce qui favorise la réputation de l’entreprise, ou bien justifie son appartenance à un groupe ou une catégorie et lui confère de la légitimité.
Des conséquences à confirmer dans de nouvelles recherches La taille de notre échantillon et la courte période sur laquelle l’étude a été menée ne permettent pas de tirer des conclusions générales sur les effets de ces quatre actions. Néanmoins, la réplication de résultats similaires sur un échantillon de quatre entreprises appartenant à quatre secteurs différents permet d’énoncer les hypothèses qui apportent une nouvelle contribution à la théorie de l’identité des entreprises, notamment dans le cas particulier des entreprises qui proposent une innovation de business model dans leur secteur. Ces hypothèses pourront être testées dans de futures études sur des échantillons plus importants et à des stades plus avancés du développement des entreprises. Sur le plan pratique, les nouveaux entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation pourront y trouver des indications sur le timing et les actions à mettre en œuvre pour construire l’identité de leur entreprise.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]L’approche choisie pour cette étude qualitative est celle de l’étude de cas multiples. Pour la réaliser, Yuliya Snihur a sélectionné les quatre entreprises les plus innovantes en termes de leurs business models dans quatre secteurs différents parmi un échantillon représentatif de 165 entreprises sélectionnées au départ. Les résultats ont été obtenus en soumettant à l’étude 620 pages de sources documentaires internes et externes fournies par les entreprises et 29 entretiens avec des personnes internes (fondateurs, salariés) et externes (investisseurs, clients) aux entreprises. L’étude a été publiée en février 2016 dans la revue Entrepreneurship & Regional Development, sous le titre « Developing optimal distinctiveness: organizational identity processes in new ventures engaged in business model innovation »[/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Victor Dos Santos Paulino [/su_pullquote]
Face à une nouveauté radicale intervenant dans son secteur d’activité, toute entreprise oscille entre indifférence et réaction, faute d’être capable de faire la distinction en amont entre une innovation de rupture et un produit voué à l’échec. Pour résoudre ce dilemme, la solution peut être d’identifier les innovations de rupture potentielles et d’évaluer le risque qu’elles font courir aux acteurs établis, comme l’illustre le cas de l’industrie du satellite.
La miniaturisation des satellites a entraîné une évolution sur les marchés de l’industrie spatiale depuis une vingtaine d’années. Du côté de l’offre, de nouveaux fabricants ont émergé, proposant des petits satellites à moindre coût, du côté de la demande, de nouveaux clients sont apparus, voyant dans cette innovation une opportunité. En toute logique, les industriels historiques, positionnés sur le segment des satellites traditionnels de grande dimension, s’interrogent : doivent-ils considérer ces choix technologiques radicalement nouveaux comme une menace ?
L’innovation est un phénomène complexe, qui ne rime pas toujours avec succès, progrès et profits. Il a par exemple été démontré que plus de 60 % des innovations débouchaient sur des échecs.. Il est également légitime que de nombreuses entreprises freinent l’adoption d’innovations dans plusieurs cas : par exemple lorsque celles-ci rendent obsolètes ou cannibalisent les produits existants ou lorsque les coûts afférents se révèlent trop importants par rapport aux bénéfices attendus. Ces facteurs expliqueraient-ils la stratégie d’inertie observée dans l’industrie spatiale ?
Par nature, l’utilisation par l’industrie spatiale d’une nouvelle technologie génère un risque : le comportement d’un composant sur terre, même dans des conditions de tests qui simulent l’espace, ne prédit pas précisément son fonctionnement en vol. Il peut être parfait ou défaillant, personne ne le sait avec certitude ! Conséquence : les constructeurs de satellites tendent à privilégier une stratégie d’inertie qui n’intègre les changements technologiques que de façon extrême¬ment prudente. Les innovations mises en œuvre sont celles qui ont fait leurs preuves. Le coût de l’échec rend les constructeurs et leurs clients prudents.
Notre recherche, menée dans le cadre de la chaire Sirius, a pour but de répondre à cette question, et pour cela de clarifier au préalable le concept d’innovation de rupture. En effet, l’expression, très utilisée et parfois à mauvais escient, fascine, intrigue et inquiète les acteurs économiques établis, sans que l’on sache toujours de quoi l’on parle exactement. Une innovation de rupture est un cas particulier d’innovation radicale qui vient modifier la structure d’un secteur industriel, et dont les effets peuvent aller jusqu’au remplacement des entreprises existantes par de nouveaux entrants. La difficulté est qu’on ne peut avoir la certitude qu’il s’agit d’une innovation de rupture qu’à long terme, a posteriori, une fois qu’elle s’est imposée, voire qu’elle a fait disparaître les technologies plus anciennes et les entreprises qui les portaient. A court terme, elle se traduit plutôt par un produit ou un service moins performant, destiné à une clientèle marginale, une technologie immature proposée par des petites entreprises disposant de moins de moyens, moins de compétences et une moindre connaissance du marché. Ces caractéristiques rendent très difficile la distinction entre une innovation de rupture en phase de lancement, qui nécessite une réaction des entreprises existantes, et une innovation vouée à l’échec, qu’elles peuvent se permettre d’ignorer. Cela crée une incertitude sur la conduite à tenir, que l’on appelle le dilemme de l’innovateur : c’est à court terme, au moment où l’innovation de rupture ne constitue pas encore une menace, que celui-ci doit évaluer le danger et éventuellement s’engager sur le nouveau marché pour tenter d’en limiter les conséquences. Plus tard, cela risque d’être trop tard.
La question qui importe au management d’une entreprise est de pouvoir anticiper, et donc de disposer dans la mesure du possible d’outils prédictifs. Puisqu’on ne peut pas affirmer précocement la nature disruptive d’une innovation, la solution consiste à essayer de déterminer si elle en réunit les caractéristiques à court terme, autrement dit s’il s’agit d’une innovation de rupture potentielle, et dans ce cas quel type de menace elle ferait planer sur les acteurs historiques. Car toutes les innovations de rupture n’ont pas les mêmes conséquences : certaines entraînent une substitution complète de l’ancienne technologie par la nouvelle et représentent une menace maximale, le cas typique étant la photographie argentique engloutie par le numérique ; d’autres ne font pas totalement disparaître les produits initiaux. C’est le cas dans le transport aérien, avec des compagnies low-cost qui ont capté une partie seulement de la clientèle des compagnies traditionnelles, ou bien dans la téléphonie, où la technologie fixe continue à coexister avec le mobile. Ces exemples sont caractéristiques des trois types d’innovations de rupture, dont le premier seulement est associé à un risque élevé de disparition du marché préexistant. Dans les deux autres cas, la menace apparaît plus faible pour les entreprises en place.
Qu’en est-il alors de l’industrie spatiale ? Comment à partir de ce cadre conceptuel les acteurs historiques doivent-ils appréhender le développement des petits satellites ? Selon les paramètres retenus dans notre modèle théorique, ceux-ci réunissent la plupart des caractéristiques d’une innovation de rupture potentielle : une moindre performance technologique par rapport aux exigences des principaux clients traditionnels ; une plus grande simplicité ; un moindre coût ou au contraire un coût beaucoup plus important dans le cas des constellations de petits satellites ; la perspective d’introduire de nouveaux critères de performance tels que la possibilité que concevoir, construire et lancer un nouveau satellite en très peu de temps ou encore les améliorations apportées par l’utilisation de constellations en orbite basse. Toutefois, l’analyse de la demande de ces nouveaux satellites montre qu’ils s’adressent essentiellement à de nouveaux clients, ce qui permet d’écarter l’hypothèse d’une innovation de rupture sur un marché existant, le seul cas réellement à risque pour les industriels. Leurs acheteurs se répartissent entre clients institutionnels issus de pays émergents ne disposant pas de moyens suffisants pour lancer des satellites classiques et clients privés haut de gamme exprimant de nouveaux besoins – les constellations en orbite basse – auxquels les satellites classiques ne répondent pas. Ainsi, les petits satellites constituent bel et bien une innovation de rupture potentielle ne menaçant que faiblement les acteurs historiques. En dépit des changements structurels qu’ils peuvent entraîner pour cette industrie, le risque qu’ils viennent se substituer aux satellites classiques reste relativement faible. Ce qui ne préjuge en rien de leur succès ou de leur échec à terme.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Cette étude a été réalisée par Victor dos Santos Paulino (TBS) et Gaël Le Hir (TBS) dans le cadre de la chaire Sirius, sur une thématique proposée par les partenaires industriels de la chaire. Pour la partie théorique, les auteurs ont réalisé une revue de littérature sur la théorie de l’innovation de rupture qui leur a permis de concevoir une table des caractéristiques des innovations de rupture potentielle. Ils ont ensuite appliqué ce modèle à l’industrie du satellite en se référant à plusieurs sources d’information (informations publiques des industriels, informations sectorielles, interviews de personnes qualifiées, base de données). L’étude a été publiée en février 2016 dans le Journal of Innovation Economics & Management, sous le titre « Industry structure and disruptive innovations : the satellite industry »[/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Servane Delanoë[/su_pullquote]
Dans la création d’entreprise, on s’intéresse souvent plus au projet qu’à l’entrepreneur. Or cette démarche a des implications personnelles très fortes. L’évaluation des programmes de soutien personnalisé gagnerait en pertinence à prendre davantage en considération l’évolution du ressenti des entrepreneurs sur leur capacité à mener à bien leur projet, notamment sur les aspects liés à la stratégie et au financement.
Qu’y a-t-il derrière une démarche d’entrepreneuriat ? Un projet, bien sûr, qui aboutit ou non à une création d’entreprise, mais aussi et surtout un individu, le porteur de projet ou entrepreneur naissant, qui, quelle qu’en soit l’issue, sortira durablement transformé par l’expérience. Cette démarche constitue en effet une forme d’apprentissage, au cours duquel la création acquiert de nouvelles compétences, des perceptions, développe des réseaux. S’il parvient à créer son entreprise, cette transformation personnelle apportera des armes utiles à son développement. Dans le cas contraire, il pourra mettre à profit cet acquis pour préparer un projet d’entrepreneuriat ultérieur voire l’utiliser dans une activité salariée.
Le porteur de projet a la possibilité de ne pas rester isolé dans sa démarche. Il est même encouragé à participer à des programmes d’accompagnement, qui peuvent impacter le projet mais aussi avoir un effet sur la personne. Malheureusement, dans l’évaluation de ces programmes, cette dimension personnelle n’est que rarement prise en compte : pour juger de leur efficacité, on a tendance à s’intéresser davantage à la satisfaction des participants ou au fait qu’ils parviennent à créer leur entreprise, mais pas aux effets que les programmes peuvent avoir sur l’entrepreneur naissant. Le but de notre étude, menée auprès des participants d’un programme d’accompagnement mis en place par les CCI de Bretagne, était précisément d’analyser cet impact personnel, en se focalisant non pas sur les compétences réelles du porteur de projet mais sur son auto-efficacité entrepreneuriale perçue, c’est-à-dire le jugement qu’il porte sur sa capacité à créer une entreprise.
Cette perception d’auto-efficacité entrepreneuriale, développée à l’origine en psychologie, est un déterminant essentiel pour se lancer dans la création d’entreprise, car le fait de ne pas s’en sentir capable peut constituer un frein majeur. Si elle est correctement évaluée, elle peut même favoriser la ténacité de l’entrepreneur face aux difficultés rencontrées. Toutefois, il s’agit d’une perception, qui n’est pas forcément représentative des capacités réelles, certains individus ayant tendance à se sous-estimer quand d’autres, à l’inverse, surestiment leurs capacités. Elle est enfin évolutive, en fonction de quatre grandes influences, l’expérience personnelle, l’observation des autres, la persuasion verbale par des tiers et l’état émotionnel ressenti.
L’étude cherchait à mesurer l’évolution de l’auto-efficacité perçue par des entrepreneurs naissants ayant suivi un programme d’accompagnement en les interrogeant au début de leur projet, puis un an plus tard. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que la participation à un dispositif de soutien personnalisé ait un effet positif sur l’évolution de l’auto-efficacité entrepreneuriale perçue (c’est-à-dire que les porteurs de projet se sentent plus capables de créer leur entreprise) les résultats indiquent plutôt une baisse globale. Dans le détail, seule l’auto-efficacité entrepreneuriale administrative, qui concerne la planification du projet et les différentes formalités, évolue positivement, alors que les perceptions liées à la stratégie et au financement ont tendance à se dégrader.
Ces résultats peuvent s’expliquer par la confrontation avec la réalité. Au début du processus, beaucoup d’entrepreneurs naissants ont en tête une image de complexité administrative et se focalisent sur cet aspect, pour se rendre compte que, contrairement à ce qu’ils présupposent, ce n’est pas le plus compliqué, d’autant plus que depuis plusieurs années un certain nombre de mesures de simplification ont facilité ces procédures. Dans le même temps, ils prennent conscience de la difficulté à trouver des clients et des financements, de l’existence de concurrents, du manque de temps… autant d’aspects stratégiques parfois sous-estimés au moment de monter leur projet.
Ce résultat, pour surprenant qu’il soit, montre l’intérêt d’avoir une appréciation objective de l’aide à l’entrepreneuriat, en s’intéressant aux impacts individuels : l’objectif des programmes d’accompagnement est en effet d’aider les porteurs de projet à mettre en place des entreprises viables et à prendre conscience des réalités du terrain, pas nécessairement qu’un maximum d’entre eux aillent au bout de leur projet. Ce n’est donc pas une mauvaise chose que des candidats à la création d’entreprise se sentent moins capables à la fin du processus qu’au début. Un participant qui décide finalement de ne pas créer son entreprise, en prenant conscience de l’importance de la clientèle, du réseau, a l’occasion de se poser les bonnes questions, de réajuster sa capacité perçue, voire, parfois, de se rendre compte qu’il n’est pas fait pour l’entrepreneuriat. Il pourra se lancer dans le projet suivant mieux armé, en tout cas avec des perceptions plus réalistes.
Cette méthode d’évaluation constitue un outil précieux pour faire évoluer les programmes d’accompagnement, avec des implications pratiques quasi immédiates. Il pourrait par exemple être intéressant d’adopter une approche différenciée selon que les personnes au départ sous-estiment ou surestiment leurs capacités à créer une entreprise, afin de les amener à une perception plus réaliste. Concernant le cas analysé dans le cadre de cette étude, les programmes d’accompagnement pourraient insister davantage sur les aspects stratégiques et la recherche de financement. Ces résultats constituent une avancée vers une évaluation objective des dispositifs de soutien aux entrepreneurs naissants. Il serait désormais intéressant de les affiner en travaillant sur un échantillon d’entrepreneurs naissants plus représentatif et d’étendre la recherche à différents types de soutien possibles.
[su_note note_color=”#f8f8f8″]Servane Delanoë-Gueguen est enseignant-chercheur en entrepreneuriat et en stratégie d’entreprise à Toulouse Business School, responsable de l’incubateur TBSeeds et co-responsable de l’option professionnelle « entrepreneur ». Elle est titulaire d’un PhD de l’Open University (UK) portant sur l’entrepreneuriat naissant. Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat naissant, les écosystèmes entrepreneuriaux, l’aide à la création d’entreprise, l’intention entrepreneuriale et les processus d’incubation. Cette publication est une synthèse de l’article « Aide à la création d’entreprise et auto-efficacité entrepreneuriale », publié en 2015 dans la Revue de l’entrepreneuriat.[/su_note]
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Pour mener ce travail de recherche, Servane Delanoë-Gueguen a réalisé une étude longitudinale. A partir d’une revue de littérature, elle a élaboré un modèle théorique avec 3 hypothèses de recherche postulant l’évolution sur un an de l’auto-efficacité entrepreneuriale des porteurs de projet ayant suivi un programme d’accompagnement et ayant concrétisé ou non leur projet, avec une différenciation par sexe. Le modèle a ensuite été testé auprès d’un groupe d’entrepreneurs naissants. La première année, 506 personnes ont répondu à un questionnaire permettant d’évaluer leurs perceptions entrepreneuriales. L’année suivante, 394 d’entre elles ont pu être recontactées, sur lesquelles 325 avaient réellement un projet de création en cours. Sur cet échantillon, 193 personnes ont répondu à nouveau au questionnaire. [/su_spoiler]
[su_pullquote align=”right”]Par Pierre-André Buigues et Denis Lacoste[/su_pullquote]
Au fil de la décennie 2000, les exportations des constructeurs automobiles français n’ont cessé de décroitre. Au début des années 2000, PSA exportait 54 % de la production faite en France et Renault 47 %.
10 ans plus tard, ce pourcentage a baissé de plus de 20 points pour PSA et le cas de Renault est encore plus critique puisque ce constructeur est devenu importateur de véhicules en France. Renault produit désormais en France moins de véhicules qu’il n’en y immatricule ! Et la balance commerciale de la France dans l’automobile est devenu largement déficitaire, le dernier excédent datant maintenant de 2004 !
Pas du tout. En effet, dans le même temps, les constructeurs hexagonaux ont entrepris un vaste mouvement d’implantations d’usines d’assemblages à l’étranger. Au début des années 2000, la production à l’étranger des deux constructeurs représentait environ 70 % de la production domestique. En 2010, le rapport entre la production à l’étranger et la production domestique est voisin de 170 % pour PSA et atteint presque 300 % pour Renault.
On pourrait penser que ces évolutions sont liées aux conditions macro-économiques et monétaires de la zone euro. L’observation des évolutions des stratégies des constructeurs automobiles allemands montre qu’il n’en est rien. Sur la même période 2000-2010, on peut constater que l’intensité d’exportation de Volkswagen est restée stable et que celle de Mercedes et de BMW a augmenté.
Les spécialistes de la stratégie s’accordent à penser que le choix des modalités d’internationalisation est lié à deux éléments principaux : les avantages concurrentiels des firmes d’une part et les conditions économiques de la production dans le pays d’origine d’autre part.
Les avantages concurrentiels des constructeurs français. Schématiquement, Les entreprises industrielles ont le choix entre des stratégies de coût faible ou des stratégies de différenciation qui visent l’innovation technologique. Une stratégie orientée vers des prix bas conduit les entreprises à délocaliser une part importante de la production vers des pays à bas coût. A l’inverse, une stratégie de différenciation est synonyme d’une propension plus forte à l’exportation car l’avantage concurrentiel repose sur la R&D et donc sur des compétences fortes disponibles dans les seuls pays développés. Les premières vont chercher à l’étranger une main d’œuvre à moindre coût alors que les secondes seront moins pénalisées par des coûts de production plus élevés liés à la production domestique et pourront bénéficier des effets positifs liés à l’interaction entre la production et la R&D.
Dans le cas de l’automobile, les différences en matière de stratégie d’innovation sont considérables entre les entreprises françaises, qui privilégient les implantations à l’étranger, et leurs homologues allemands, qui maintiennent un niveau d’exportation élevé. Volkswagen investissait déjà plus de deux fois plus en recherche que Renault et PSA au début des années 2000 et ce rapport est passé à 3 en 2010. Si l’on observe plus précisément le contenu en R&D de chaque véhicule vendu, on constate bien sûr qu’il est très important chez les constructeurs haut de gamme comme Mercedes et BMW (supérieur à 2000 € par véhicule) mais même chez les généralistes, le contenu en R&D d’une voiture Volkswagen est de 20 % supérieur à celui de Renault et 45 % supérieur à celui de PSA. Là aussi, l’écart se creuse sur la décennie 2000 : la progression des dépenses en R&D par véhicule des constructeurs allemands est bien supérieure à celle des français.
Les conditions économiques françaises. L’environnement plus ou moins favorable des entreprises dans leur pays d’origine, en particulier en termes de coût, a également une incidence sur leurs choix en termes d’internationalisation. Qu’en est-il pour l’automobile française et en quoi se l’environnement français se distingue-t-il de l’environnement allemand ? Si l’on observe les choses à un niveau très général, on constate que sur la décennie 2000, le coût horaire du travail dans l’ensemble de l’industrie a augmenté de 38% en France, contre seulement 17% en Allemagne. Par ailleurs, une observation plus fine de la filière automobile fait apparaitre une productivité par salarié qui est plus faible en Allemagne qu’en France en 2000 mais qui augmente très fortement sur la période alors qu’en parallèle elle baisse en France. En 2008, la productivité des salariés est de 25 % supérieure dans l’industrie automobile allemande par rapport à la France ce qui s’explique par les investissements faibles des constructeurs français en France, la priorité étant les usines à l’étranger.
Ainsi, même si l’on peut en déplorer les conséquences très négatives en termes d’emploi et de création de richesses sur le territoire français, les constructeurs automobiles français ont fait des choix stratégiques cohérents en matière d’internationalisation compte tenu de leur faible dépense en R&D, de leur positionnement en moyen et bas de gamme et de l’évolution défavorable des conditions de production domestique en termes de coût. Il n’est toutefois pas surprenant de constater que les niveaux de marges des constructeurs français sont inférieurs à ceux des allemands. Par exemple, sur la période 2000-2010, la marge opérationnelle par véhicule était de 635 euros pour VW et autour de 250 euros pour Renault et PSA.
Malheureusement pour le commerce international français et l’emploi, le secteur automobile n’est pas un cas isolé. La France compte en effet beaucoup moins d’entreprises exportatrices que l’Allemagne et la part des exportations dans le PIB y est presque deux fois plus faible. En revanche, la France compte plus de grandes multinationales que l’Allemagne (par exemple 14 dans le top 100 mondial contre 10) et ces multinationales françaises ont une part plus importante de leurs effectifs à l’étranger que leurs homologues allemandes.
Ainsi, c’est seulement au prix d’une modification radicale du positionnement stratégique des entreprises localisées en France et d’une amélioration des conditions de production dans l’hexagone que la France pourra redevenir une terre d’exportation !
[su_note note_color=”#f8f8f8″]Par P.A. Buigues et D. Lacoste. Les données de ce texte sont issues des articles : « Les déterminants des stratégies internationales des constructeurs automobiles européens : exportation ou investissements directs à l’étranger, publié en 2015 dans la revue Gérer et Comprendre, écrit par les auteurs en collaboration avec M. Saias M, et « Les Stratégies d’internationalisation des entreprises françaises et allemandes : deux modèles d’entrée opposés », écrit par les auteurs et à paraitre dans Gérer et Comprendre en 2016 ainsi que de l’ouvrage écrit par les auteurs « Stratégies d’Internationalisation des entreprise » paru en 2011 aux éditions De Boeck. [/su_note]
[su_spoiler title=”Méthodologie”]La base de données a été constituée principalement à partir des informations publiées par les constructeurs dans leurs rapports annuels, des données fournies par le Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA), par l’Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles (OICA) et par Eurostat. Les données relatives aux modes d’internationalisation, aux stratégies et aux conditions économiques ont été analysées sur l’ensemble de la période 2000-2010. [/su_spoiler]
[su_spoiler title=”Applications pratiques”]Ce travail montre que le diagnostic des choix des entreprises en matière d’internationalisation ne peut pas se faire indépendamment de l’analyse des autres dimensions de sa stratégie (en particulier en termes de positionnement) et des conditions économiques de son territoire d’origine. Ce travail suggère également que les investissements à l’étranger ne sont pas nécessairement le nec plus ultra de l’internationalisation. Le cas de l’industrie automobile indique qu’il est possible, même dans une industrie globale, de conserver une part importante de sa production sur son territoire domestique tout en étant performant. [/su_spoiler]