Quel est votre parcours professionnel au sein de TBS Education ? 

Je suis arrivé comme professeur permanent à TBS Education en 2017 après quelques années passées à HEC Montréal. J’enseigne principalement l’analyse financière et la comptabilité internationale (IFRS), aux étudiants de nos différents programmes. Pour ce qui concerne mes recherches, elles portent surtout sur la profession comptable. J’essaye de comprendre comment on devient un « bon » auditeur ou directeur financier. Ou plus récemment, comment l’existence d’un sentiment de solidarité au sein des équipes des cabinets comptables est décisive pour leur attractivité.

Quelle est la genèse de votre collaboration avec la Fondation TBS Education ?

C’est au cours de l’année 2018-2019 lorsque j’ai repris la responsabilité du Parcours Audit-DSCG et de la Chaire Audit de TBS Education, que j’ai commencé à travailler avec la Fondation. Il est en effet important de créer un lien entre ce diplôme et nos enseignements, avec ses partenaires privilégiés EY, KPMG, Mazars et PwC, grâce à la Fondation TBS Education et aux possibilités qu’elle offre.

Quels bénéfices les étudiants qui suivent votre filière retirent de ce programme pédagogique ?

Les bénéfices de cette collaboration pour nos étudiants sont de deux ordres : Tout d’abord, le partenariat privilégié permis par la Fondation, contribue à la professionnalisation de nos étudiants en permettant à EY, KPMG, Mazars et PwC de leur prodiguer des enseignements à haute valeur ajoutée en Master 1 et Master 2. En effet, en plus d’être techniques, les métiers du chiffre sont aussi (voire surtout) des métiers de service. Il s’agit d’adopter les bonnes manières d’être et d’apparaître, dans des contextes parfois difficiles. En ayant accès en cours à des professionnels aguerris de nos cabinets partenaires, nos étudiants peuvent ainsi bénéficier de leurs expertises et de leurs conseils ou astuces, pour réussir leurs premières expériences.

Ensuite, la Fondation et nos partenaires remettent chaque année trois Prix d’Excellence à nos étudiants de Master 1. Les étudiants candidats sont ainsi évalués sur leurs résultats académiques et la réalisation d’une vidéo créative de 180 secondes, présentant leur parcours autant que leur personnalité. Une cérémonie de remise de Prix permet de célébrer les lauréats à la fin de leur second semestre de Master 1, moment privilégié d’échange et de détente, après une période très intensive de cours.

Comment ce projet partenarial s’imbrique-t-il dans vos missions en tant que professeur ?

Ce projet partenarial est indissociable de mon activité professorale aujourd’hui. Il me permet d’interagir avec les professionnels exerçant les métiers pour lesquels nous formons nos étudiants, en plus d’échanger avec eux sur leur pratique et d’alimenter ainsi ma réflexion de chercheur.

L’interaction avec les membres de la Direction Carrières et Talents est cruciale au quotidien afin d’organiser les différents évènements que nous animons chaque année (Prix d’Excellence, Meet-Up, Forum des métiers, MasterClasses dédiées à nos partenaires, …) et de faire le lien avec nos partenaires.

En quoi passer par la Fondation TBS Education est intéressant pour les entreprises partenaires de ce programme ?

De mon point de vue, l’aide de la Fondation est précieuse pour nos partenaires. Bien sûr, elle leur permet de bénéficier d’avantages et de contreparties significatives pour la valorisation de leur marque employeur et leur visibilité.

Mais surtout sur un plan plus symbolique et sans doute bien plus important, elle permet de créer un lien affectif avec nos étudiants. Ceci est particulièrement flagrant lors de la remise des Prix d’Excellence ou de la mission Sésame que nous organisons chaque année. Nos partenaires deviennent facilement des parrains pour nos étudiants, des figures bienveillantes mais exigeantes, les aidant à s’élever vers des réussites qu’ils n’avaient peut-être pas envisagées avant de rejoindre TBS Education et le parcours Audit-DSCG.

Une initiative ou une action de la Fondation TBS Education qui vous touche tout particulièrement ?

J’ai une très grande estime et beaucoup d’affection pour les différentes actions de la Fondation TBS Education, en plus de notre collaboration pour la Chaire Audit du Parcours Audit-DSCG. Tous les dispositifs en faveur de l’employabilité et de la réussite de nos étudiants (bourses, Prix, etc.) sont de beaux exemples de réussite.

Peut-être pourrions-nous nous en inspirer afin d’explorer des horizons nouveaux et d’autres d’engagements. Notamment pour une cause qui me tient à cœur, l’employabilité et le bien-être au travail des personnes de plus de 50 ou 55 ans. En effet, ces dernières restent, avec nos jeunes, l’une des principales richesses d’une entreprise.

[su_pullquote align=”right”]Par Lambert Jerman et Evelyne Misiaszek[/su_pullquote]
Les entreprises à succès comme Sigfox, BricoPrivé ou Hellocasa font partie de l’univers des scale-ups. Que ces entreprises soient jeunes ou matures, leur phase d’hypercroissance est une période très critique.

Le concept de « scale-up » comprend aujourd’hui des entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 5M€, avec une croissance d’au moins 10 à 20% sur trois ans. Après avoir dépassé le statut de start-up et avoir confirmé son modèle d’entreprise, la scale-up doit se transformer de façon rapide et à plusieurs niveaux : internationalisation, recrutement, développement de nouveaux partenariats commerciaux, techniques ou financiers. Son système de pilotage interne doit ainsi évoluer pour permettre à l’organisation d’affronter de nouveaux défis, en même temps que le dirigeant doit veiller à ce que les nouveaux outils de gestion mis en place soient adaptés à l’hypercroissance. Cette situation exige un équilibre subtil entre les décisions à court terme et la stratégie de l’entreprise à long terme.

L’hyper croissance débouche en effet sur une perte de proximité et un subtil équilibre est à atteindre.

Les besoins en recrutement étant par définition importants dans les entreprises en hypercroissance, le nombre de salariés augmente si vite que le dirigeant ne peut très vite plus superviser directement ses salariés ni les connaître personnellement. Cette perte de proximité hiérarchique est souvent exacerbée par un éloignement géographique de plus en plus important. La circulation de l’information peut ainsi être menacée dans la structure et mettre en danger la cohésion et la culture de l’organisation. Le charisme du dirigeant, ses valeurs et son engagement personnel, ne suffisent plus.

Pour faire face à cette réalité nouvelle, le dirigeant d’une scale-up doit aménager et renforcer la gouvernance ainsi que le système de pilotage de l’organisation, sans brider la créativité et l’innovation si importantes pour le développement de l’entreprise.

La construction de cet équilibre subtil, capable de maintenir la réactivité et la coordination informelle héritées de la start-up avec les procédures plus formelles et rationnellement définies indispensables à un groupe plus important, n’a rien d’évident. Quatre leviers d’action peuvent néanmoins être identifiés pour réduire la complexité de la transformation de l’entreprise et maintenir autant que possible la proximité nécessaire à sa cohésion.

  • La redéfinition et délégation effectives des responsabilités, par la montée en compétences des collaborateurs, notamment ceux à fort potentiel. Ceci exige du dirigeant une capacité d’écoute et de soutien à ses collaborateurs, auxquels il devra faire confiance et s’associer à la prise de décision.
    • Actions possibles :
      • Création de centres de responsabilité avec un vrai pouvoir décisionnel.
      • Respect des nouvelles prérogatives dans la durée malgré la tentation d’opérer des « raccourcis » face à des situations urgentes.
    • Une transmission d’informations fiable et agile. Pour être capable de déléguer, le dirigeant doit permettre la mise en place d’un système d’informations fiable et susceptible d’être adapté avec souplesse aux besoins des décideurs dans l’organisation.
      • Actions possibles :
        • Diffusion régulière d’informations de synthèse et d’indicateurs clés décrivant les leviers stratégiques de l’entreprise, avec l’intention « d’objectiver » l’activité, et à terme de mieux anticiper et faciliter la prise de décisions.
      • Une combinaison de contrôles formels et informels. En parallèle de la mise en place d’indicateurs, le dirigeant peut créer des occasions d’échange régulières avec ses équipes pour favoriser une meilleure circulation ascendante et descendante de l’information.
        • Actions possibles :
          • La création de rendez-vous récurrents, occasions d’échanges techniques, ainsi que des rencontres plus informelles et ponctuelles pour favoriser l’implication des équipes.
        • Le maintien de l’esprit entrepreneurial. La mise en place d’un système de pilotage plus structuré ne doit pas freiner l’innovation et la créativité au sein de l’organisation. Il est de la responsabilité du dirigeant d’entretenir l’esprit et les valeurs de sa société en maintenant une présence régulière aux côtés des équipes pour partager avec elles sa vision, sans néanmoins menacer l’autonomie dont elles ont besoin.
          • Actions :
            • La communication régulière des objectifs et des valeurs de l’entreprise, de la vision stratégique du dirigeant, des enjeux quotidiens et plus stratégiques de la réussite de l’hypercroissance.

Pour affronter les deux risques majeurs liés au pilotage de l’hypercroissance, à savoir la complexité plus importante de l’environnement de l’entreprise et la perte de proximité avec les équipes, le dirigeant d’une scale-up doit donc permettre à l’organisation de trouver un équilibre entre le système de pilotage très informel d’une start-up et le contrôle plus formel des grands groupes.

Article produit dans le cadre du partenariat “Scale UP – Gérer l’hypercroissance”

[su_pullquote align=”right”]Par Lambert JERMAN et Alaric BOURGOIN [/su_pullquote]
A l’heure où de nombreuses professions s’interrogent sur leur sens profond, tiraillées entre les contraintes économiques et l’automatisation annoncée d’une partie de leurs activités, l’auditeur des grands cabinets du Big Four se révèle précieux pour comprendre ce qui fait le sens du travail d’un professionnel du service aujourd’hui.

De la stature valorisante de l’expert aux difficultés du terrain

Sur le terrain, les auditeurs doivent faire face à un ensemble de difficultés qui contribuent à nuancer la vision idéalisée du professionnel du chiffre. La pratique exige du praticien qu’il résiste, parfois transgresse, les standards du cabinet, s’ajuste continuellement aux contraintes des missions, selon des logiques liées à sa propre subjectivité. Les clients réfractaires au planning surchargé ou le désordre des pièces comptables confrontent l’auditeur à une anxiété permanente sur sa capacité à faire aboutir les missions. La peur de mal faire est omniprésente, puisqu’une erreur non détectée dans les états peut avoir de graves conséquences financières et pénales. Toutes ces facettes du travail de l’auditeur suggèrent que sa construction identitaire n’est pas toujours synonyme de valorisation, d’apaisement, ni porteur d’une harmonie intérieure. Elle s’apparente également à un rapport pressant de l’individu à ses faiblesses, où l’exercice de son activité professionnelle le confronte aux limites de son expertise, à ses échecs et à ses erreurs.

Voici pourquoi nous avons cherché à comprendre les pratiques et les discours par lesquels l’auditeur se construit en « bon » professionnel. Comment les difficultés du terrain déterminent-elles la capacité de l’auditeur à devenir le professionnel attendu ?

Pour répondre à cette question, nous avons mené une enquête ethnographique de six mois dans un grand cabinet d’audit international.

L’identité négative : se construire en « bon » professionnel par l’expérience, la confession et l’administration de ses faiblesses

Nos résultats montrent que la construction identitaire des professionnels se joue dans une mise en tension de l’individu porté à s’ausculter sans complaisance, pour espérer incarner en public l’image idéalisée du professionnel. Notre étude de l’auditeur nous permet de préciser la notion « d’identité négative » au cœur de notre argument. L’identité négative correspond à l’ensemble des pratiques et des discours par lesquels l’auditeur se construit en « bon professionnel » dans un rapport pressant et continu à ses faiblesses. Plus spécifiquement, ces pratiques et discours s’articulent autour de (1) l’expérience, de (2) la confession et de (3) l’administration de ses faiblesses par l’auditeur.

Par l’expérience de ses faiblesses, l’auditeur se livre à une enquête pratique lui permettant de prendre conscience de la distance qui existe entre son image de professionnel du chiffre et la réalité du terrain. L’ambigüité des situations, l’équivoque de la matière, la pression de l’erreur et des clients, l’empêchent de s’en remettre aux seules prescriptions du cabinet pour régler son comportement. Cette prise de conscience, anxiogène, l’oblige à s’interroger sur ses points de vulnérabilité, à prendre des risques, à se mettre dans une « position basse » qui tient compte des exigences et des contraintes des clients. Cette posture fait écho aux observations réalisées dans d’autres professions de services comme celles des consultants , qui doivent composer avec l’anxiété liée à la multiplication d’interventions de court-terme, dans des environnements nouveaux et au contact de clients exigeants.

Par la confession de ses faiblesses, l’auditeur opère un rapprochement entre sa position personnelle vulnérable et l’image plus valorisante du professionnel du chiffre. Cette pratique entretient la tension entre la perception négative de l’individu par lui-même, et les discours plus laudatifs portés par le cabinet. La confession s’apparente d’abord à un exercice d’humilité, par lequel l’auditeur est de nouveau confronté à lui-même dans un effort réflexif. Il doit apprendre à « s’autoévaluer mauvais », c’est-à-dire à extérioriser et à verbaliser ses faiblesses sur une base volontaire dans les dispositifs d’évaluation du cabinet. Ces dispositifs encouragent ensuite la définition « d’axes de progrès » qui opèrent un retournement fondamental. La prise en compte circonstanciée des points faibles de l’individu se transforme en la stabilisation d’un profil professionnel rétribué à sa juste valeur. Toutefois, cette transformation n’est jamais entièrement accomplie car la confession sanctuarise l’imperfectibilité au cœur du professionnalisme.

Enfin, par l’administration de ses faiblesses, l’auditeur opère un travail de rationalisation des enjeux clés du métier et se découvre des appuis relationnels et formels permettant de composer avec les difficultés du terrain. Le retournement opéré par la confession demeurant largement rhétorique et confiné à l’intérieur du cabinet, il ne suffit pas pour que l’individu compose durablement avec ses faiblesses. La vision globale des missions et des enjeux du client, la solidarité d’équipe et le souci formel, lui permettent de faire de nécessité vertu, et d’assimiler les contraintes et les imprécisions du métier, tant sur le plan intellectuel que sur le plan pratique. L’auditeur, empreint de doute car aux prises avec les difficultés du terrain, est ainsi replacé dans le giron de l’identité sociale prestigieuse du professionnel, créant chez l’individu un équilibre temporaire et toujours à renouveler entre ces deux pôles.

Le « bon » professionnel, Sisyphe de l’imperfection

En prenant au sérieux les faiblesses de l’auditeur et ses difficultés sur le terrain, « l’identité négative » réintroduit son identité personnelle derrière l’image balisée et valorisante de l’expert apposant un jugement définitif sur la rectitude des comptes. Nous observons un auditeur vulnérable, aussi inquisiteur de lui-même qu’il peut l’être de son client. Confronté à l’ambiguïté des situations d’intervention, l’auditeur nourrit son professionnalisme de sa capacité à douter de lui-même et d’un regard anxieux sur son aptitude à faire aboutir ses missions. Véritable Sisyphe de l’imperfection, il se présente comme un individu mis en tension entre une expérience parfois douloureuse du métier et l’image valorisante portée par les cabinets.
Nos observations permettent de comprendre comment la construction identitaire se joue aussi dans et par la difficulté, plaçant l’individu dans une posture introspective entretenant un doute constant sur sa propre valeur. Par-delà la menace des circonstances économiques ou de l’automatisation annoncée des opérations de vérification, notre étude suggère que l’auditeur doit son succès comme professionnel au caractère adaptable d’une pratique alimentée par un questionnement structurant sur sa propre valeur.

[su_spoiler title=”Méthodologie”]Le premier auteur a lui-même travaillé comme auditeur et consigné ses observations (dans le cabinet et en mission) dans un journal de bord. Cette méthode ethnographique permet aux chercheurs de se situer au plus près des enjeux du terrain et d’acquérir une connaissance indigène des phénomènes observés. Cette méthode est pertinente pour analyser la construction identitaire, qui est expérimentée intimement par les acteurs et donc difficile à verbaliser au cours d’entretiens. Le rôle du second auteur a été crucial pour contrôler les biais d’immersion et trouver un juste équilibre entre la distance professionnelle et l’implication personnelle indispensables à la recherche ethnographique. Référence de l’article complet : JERMAN, L., & BOURGOIN, A. (2018). L’identité négative de l’auditeur. Comptabilité – Contrôle – Audit, 24 (1), 113-142. doi:10.3917/cca.241.0113 [/su_spoiler]